C'est un petit périmètre (52 000 km2
, quand, à titre de comparaison,
la France métropolitaine s’étend sur un peu plus
de 550 000 km2
) et pourtant son nom est internationalement
connu pour son cristal, le fameux cristal de Bohême. Qu’a-t-il
précisément de fameux ? Sa brillance, sa dureté et sa résistance, fruits
d’une maîtrise historique de la matière. Aucun pays en Europe ne
dispose en effet d’une tradition de fabrication du verre et du cristal
aussi longue et continue que celle des pays de l’ancien royaume de
Bohême. Les verreries y furent fondées dès la seconde moitié du
XIIIe
siècle, grâce aux abondantes matières premières, telles que les
sables verriers ou le bois permettant de produire de la potasse. Le
cristal de Bohême, apparu par hasard à la fin du XVIIe
siècle (voir
encadré en page 79), va conquérir les marchés mondiaux dès le début
du XVIIIe
, détrônant même le cristal italien de Murano, grâce à la
qualité et l’éclat des sables verriers qui se situent principalement en
Bohême du nord.
Une industrie ancrée dans ses traditions
Le cristal de Bohême est au fil du temps devenu le fer de lance de
l’ex-Tchécoslovaquie. Sa réputation et la maîtrise de sa main d’œuvre
en ont fait une industrie de première importance pour le pays. Avant
la Seconde Guerre mondiale, nombreuses étaient les usines indé-
pendantes, de petite ou moyenne taille, à en produire. On estime qu’il y avait alors quelque 8 000 producteurs de cristal en Bohême.
Après-guerre, le gouvernement communiste accorde une attention
particulière à la production du cristal de Bohême, qui est alors
une des industries les plus florissantes du pays, et qui permet à la
Tchécoslovaquie de travailler avec le monde entier et d’engranger
des monnaies étrangères indispensables à ses échanges internationaux.
Le gouvernement choisit de nationaliser et concentrer la production
: il regroupe toutes les usines en une unique entité, et crée
une structure à part dédiée aux ventes à l’export. Il faut attendre
la chute du communisme en 1989 pour que les usines reprennent
leur indépendance et se forgent petit à petit chacune leur propre
“patte”. Désormais, le cristal représente 850 salariés en emploi direct
en République tchèque, et 8 500 personnes en emplois indirects
(distributeurs, revendeurs, etc.)*.
Un style reconnaissable
Le cristal de Bohême traditionnel est reconnaissable à ses volumes
riches aux contours détaillés, coupés dans la masse. Une précision
rendue possible par la présence du plomb, qui rend le verre plus épais
et laisse davantage de champ à la coupe. En outre, le plomb abaisse
la température de fusion, ce qui permet de tailler plus longtemps,
donc plus précisément le cristal. Les effets de dentelle sont notamment
des décors typiques, car ils représentent l’école de taillerie
tchèque. Autre particularité du style de cette région d’Europe : les
décorations. Il peut s’agir de motifs gravés dans le cristal, d’ajout de
couleur, en all-over dans la masse ou précisément placés, ou encore
de décors ou de dessins peints à la main, voire de dorures à l’or fin
ou à l’argent. Pour faire perdurer cette particularité et cette richesse d’exécution, les usines les plus significatives conservent, en plus de
leur production automatisée, une activité artisanale, réalisée de manière
traditionnelle par des souffleurs de verre, qui leur permet de
se différencier en créant des pièces au design unique.
Le grand export, véritable manne financière
Le cristal demeure une industrie stratégique en République tchèque, axée sur l’export. En 2015, le pays a exporté pour un peu plus de 35 millions d’articles de table en cristal de plomb**, dont près de 17 millions réalisés à la main. Ce qui représente 24 % de l’ensemble des exportations de l’Europe des 28 sur ce type de produits… Le cristal de Bohême se vend particulièrement bien dans les pays arabes et, dans une moindre mesure, aux Etats-Unis. Il est en revanche, dans sa forme la plus traditionnelle tout au moins, moins plébiscité en Europe, pour des raisons de modes de vie différents. En Europe en effet, la tradition des grandes tablées familiales richement ornées a vécu. Les familles sont éclatées, se retrouvent moins souvent et privilégient la simplicité et la convivialité au détriment de l’apparat.
Cristal, cristallin ou verre ?
Le cristal est une qualité de verre qui contient de la silice de sable extra blanc avec du quartz, de la potasse et du plomb. Grâce à ce dernier, la fusion des matériaux se fait à une température plus basse, ce qui confère au cristal une brillance et un éclat plus importants, ainsi qu’un son reconnaissable. Il existe deux catégories de cristal : celui dit “supérieur”, qui contient plus de 30 % d’oxyde de plomb, et le cristal au plomb (qui en contient 24 %). La catégorie de verre appelée “cristallin” est issue de la même composition de base que le cristal, mais le plomb est remplacé par d’autres oxydes métalliques. Le cristallin possède lui aussi un aspect clair, éclatant, limpide. Il est plus fin que le cristal. Depuis 1969, l’appellation “cristal” est protégée dans de nombreux pays par des normes strictes : le verre doit répondre à différents critères portant sur la concentration d’oxydes métalliques (au moins 24 % d’oxyde de plomb), la densité et l’indice de réfraction. Mais la République tchèque s’inscrit en faux. Le cristal y désigne tout verre raffiné de qualité supérieure, même s’il ne contient pas de plomb. D’ailleurs le “cristal” de Moser, l’une des marques les plus prestigieuses au monde (depuis 2011, elle fait partie de celles étrangères accueillies par le Comité Colbert) ne contient pas de plomb… Le cristal de Bohême peut donc ne pas contenir de plomb. Il se différencie alors du verre standard grâce à sa composition chimique complexe, sa dureté, sa pureté et son excellente qualité. Grâce aussi au savoir-faire de ses ouvriers verriers, qui maîtrisent parfaitement les diverses techniques de gravures et décorations