Du 5 décembre au 12 janvier prochains, La Romaine Éditions prend ses quartiers à l’Hôtel des Académi
En matière de verres, les aspirations du consommateur tendent vers le beau, l’étincelant, la solidité et la facilité d’entretien. Quelle issue pour le cristal et la verrerie de luxe ? Elles sont de plusieurs ordres. Car les acteurs de ce marché pensent partenariat, détournement, cadeau et patrimoine, voire expertise. Et non plus service ornemental traditionnel. Plongée dans un secteur de niche qui a ses fidèles, mais aussi de nouveaux adeptes.
Ils font rêver : le cristal et la verrerie de luxe subliment la table et charment les convives, par leur lumière, leur sonorité et aussi leur histoire, la plupart des maisons étant séculaires. Malgré cela, l’offre en verre mécanique se taille la part du lion* de la verrerie, forte de ses atouts : qualité de ses matériaux (robustesse, finesse, brillance, etc.), de l’expérience de dégustation, et ce pour un prix public extrêmement accessible… L’offre de Spiegelau, dont le verre Authentis a par exemple été maintes fois distingué pour ses qualités techniques, en est une illustration… parmi d’autres. « C’est une réalité du marché : il y a un certain désamour des consommateurs pour le cristal et le verre de luxe, concurrencés par la verrerie mécanique, qui fournit des produits résistants, performants en termes de dégustation, au buvant délicat, dans un matériau fin et brillant », analyse Laurent Corio, designer au studio d’innovation des savoir-faire La Racine.
Pour autant, le cristal et le verre de luxe ont encore leur mot à dire sur et autour de la table, à condition d’un peu d’ingéniosité et de travailler cette offre en magasin. Puisqu’elle arrivera inévitablement, autant l’aborder tout de suite : sans surprise, la liste de mariage n’est plus un facteur de croissance pour cette famille de produits. « Dans les années 1990, les cristalliers français réalisaient encore 40 % de leur chiffre d’affaires avec la liste de mariage. Aujourd’hui, c’est très marginal, 3 % environ », estime Jérôme de Lavergnolle, président de la Fédération des cristalleries et des verreries à la main et mixtes (FCVMM) et PDG de la Cristallerie Saint-Louis, qui appartient au groupe Hermès. « Même en Italie, un pays où la liste de mariage affiche un certain dynamisme, la décélération se fait ressentir depuis 3 ans. »
Pourtant, celle-ci représente encore un axe stratégique pour certains points de vente, tels que les grands magasins qui, historiquement, la travaillent. « La liste de mariage a connu un déclin, mais est en train de remonter, contrebalance Camille Couste, acheteuse maison (luxe, mobilier, luminaire, cadeaux) au Printemps, avec une clientèle plus jeune et décontractée, et grâce à un travail sur la stratégie “mariage” à notre niveau. »
Certains fabricants l’abordent aussi de manière détournée, comme par exemple Cristal de Sèvres, qui choisit de nouer des partenariats avec des stylistes, tels qu’Axelle Migné, créatrice de Coppélia Pique, ou des créatrices de robes de mariée, avec des prêts de verres et de pièces monumentales pour des défilés ou des événements réunissant des personnalités, des chefs, etc.
Un réseau restreint, mais stratégique, de détaillants
« La situation a beaucoup évolué en dix ans, avec la crise des liquidités, le gel des crédits par les banques, et un marché de points de vente indépendants multimarques en difficulté en France, poursuit Jérôme de Lavergnolle. La plupart de ces boutiques ont fermé, une grande partie du réseau de distribution a disparu. Les détaillants d’art de la table représentent aujourd’hui une trentaine de points de vente en France qui proposent du cristal. Le reste, ce sont les magasins en propre des marques ou les corners en grands magasins. »
« Les wholesalers multimarques offrent encore des perspectives intéressantes », note Arnaud de Schuytter, directeur commercial international de Baccarat (dont les produits sont distribués dans 700 points de vente multimarques), citant en exemple les magasins Kuhl Linscomb (Houston, Etats-Unis) ou Sabrina (Côte d’Azur, France). « Ils apportent un réel plus à notre offre, un point de vue artistique sur les tendances, et ce de façon pertinente. »
Le tableau n’est donc pas fait que de nuances de gris. Car le développement du marché de détail reste un axe stratégique pour les marques, de même que l’art de la table. En l’occurrence, Daum, la Cristallerie de Montbronn et Lalique travaillent sur de nouvelles collections, Lasvit vient de lancer une première gamme complète de verres... Les cristalliers et les verriers de luxe déploient des stratégies, qui peuvent se révéler payantes, y compris pour les commerces indépendants, à condition de trouver la bonne alchimie. Car ces produits ont leurs atouts, et leurs aficionados. Parmi les premiers, la matière elle-même. « Boire dans du cristal est fortement agréable, commente Sylvie Amar, fondatrice de l’agence éponyme de design global spécialisée en gastronomie. En général, les pièces sont en effet plus dessinées et étudiées que le simple verre, donc le buvant est souvent très confortable. Il est aussi intéressant de jouer avec la lumière du cristal, au travers d’un soliflore ou d’une lampe à poser sur la table. Les diffractions qui émanent de la taille du cristal sont toujours intéressantes pour donner de la lumière à une table. »
A l’heure où la maison constitue une valeur refuge dans le paysage de la consommation (en particulier dans l’Hexagone, où les Français dépenseraient chaque année 10 milliards d’euros en objets de décoration, luminaire, textile et arts de la table), ces produits ont leur place, sous réserve d’actionner les bons leviers et ne plus aborder l’art de la table selon l’approche traditionnelle, dans une démarche de service uniforme. « Le concept de jolie table séduit toujours, renchérit Jérôme de Lavergnolle. La tendance au mix & match revêt des perspectives intéressantes. Le consommateur n’hésite pas à mélanger un verre à pied en cristal taillé avec un gobelet d’une couleur différente. Les usages sont moins formels. »
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90 printemps pour Tommy
La célèbre collection de Saint-Louis a été créée en 1928 par les équipes internes de la manufacture. Pendant 10 ans, elle vivra sans nom, jusqu’en 1938 : elle est présentée à la galerie des glaces du château de Versailles, à l’occasion d’un banquet donné par Albert Lebrun, président de la République française, pour Georges VI (père d’Elisabeth II). Elle est baptisée Tommy pour remercier les soldats anglais, surnommés Tommies boys, venus en aide à la France pendant la Grande Guerre. Sachant que la manufacture de Saint-Louis, en Moselle (fondée en 1586) a été allemande de 1870 à 1918, l’anecdote prend tout son sens…
Le service Tommy est aujourd’hui le plus large de la maison, et comporte des articles de décoration et de lumière, 29 références de service de table et 52 pour le bar. La palette de la collection se compose de 8 couleurs.
Pour les 90 ans de la collection, la collection s’est enrichie de 2 lampes à poser et de deux vases ovales (dimensions : H 28 cm, L 20 cm, P 14,5 cm pour le grand modèle ; H 20 cm, L 14,4 cm, P 10,5 cm pour le petit ) en cristal clair. La série Tommyssimo s’est quant à elle enrichie de nouveaux vases grand format (H 37 cm, ø 22,1 cm), déployés dans toute sa palette chromatique.
Réinventer la vie des produits
Et, de ce fait, s’adresser à une clientèle plus décontractée, plus jeune aussi, avec des consommateurs qui accordent moins d’importance au formalisme, et des mises en scène ludique et/ou génératrices d’expérience. La déstructuration de la table et la déconstruction du repas traditionnel ont pour corolaire évident la baisse des achats des services classiques de verres. Pour autant, ces derniers, justement, restent des ventes importantes pour la plupart des cristalliers (Baccarat, Lalique, Saint-Louis, par exemple). Au prix pour les marques d’un important travail de repositionnement pour aller vers une offre plus adaptée aux attentes des consommateurs et susceptibles d’en séduire de nouveaux. Car le cristal est apprécié des consommateurs lorsqu’il est présenté à l’unité, en coffret de deux ou quatre verres.
A cet égard, le cadeau est un élément moteur, représentant une offre qui séduit aussi la jeune clientèle. « Le cadeau de luxe est une approche que nous faisons évoluer depuis 4 ans, indique Arnaud de Schuytter (Baccarat). Nous avons repensé la présentation et le packaging dans ce sens, plutôt que de viser l’art de la table en tant que tel, qui est limité par essence. » L’achat cadeau, qui concerne particulièrement les consommateurs de 25 à 35 ans, est même un facteur de croissance pour cette maison, représentant 70 % de ses ventes dans ses boutiques en propre. Et moteur pour les articles d’art de la table, justement, tels que les coffrets Bubble box (6 flûtes différentes), Château Baccarat dégustation (4 verres pour une personne) et de gobelets Everyday Baccarat.
Autre axe, à qui profite la vague de l’œnologie et de la dégustation de spiritueux : le verre technique qui s’adresse au consommateur expert. « Nous travaillons cette thématique pour nous adresser à des personnes qui investissent dans le vin, donc en verres », explique Philippe Guillon, directeur de la filiale France de Riedel. Et ceux-ci, même s’ils disposent d’un espace limité, ne renâclent pas à s’équiper de quelques beaux verres à dégustation. La recette fonctionne, y compris sur le long terme : « Notre série Sommeliers date des années 1950 et est toujours un succès, avec un verre à 80 € pièce environ », illustre-t-on chez Riedel.
Les tendances liées à la dégustation, dont le bar, sont également porteuses pour le secteur, à l’instar de la collection Twist 1586 (dégustation vin de fruit/de garde), qui occupe la deuxième marche sur le podium des meilleures ventes de Saint-Louis. « Notre volume de verres vendus se maintient car certains marchés connaissent peu nos services, et y entrent via le bar ou la dégustation, observe Jérôme de Lavergnolle (Saint-Louis). Cristal de Sèvres travaille par exemple autour de l’armagnac, en particulier avec sa collection Horizon, imaginée par Guillaume Delvigne. Celle-ci devrait même prochainement s’enrichir d’un verre à cognac XXL.
Au-delà des produits eux-mêmes, la façon de les commercialiser joue à plein effet, bien entendu : la vente en ligne peut aussi se révéler un levier intéressant, y compris pour les détaillants indépendants. Michel Descoust, responsable relation client du magasin Vessière, entreprise familiale fondée à Baccarat en 1882, l’a constaté lors du lancement de son e-shop il y a deux ans. Une initiative qui lui permet de proposer en ligne 2 700 références (une offre bien supérieure à celle en magasin physique), et surtout d’attirer une nouvelle clientèle. « Nous avons instauré la vente en ligne qui était indispensable pour la pérennité de l’enseigne. 90 % des utilisateurs de l’e-shop sont de nouveaux clients, et le panier moyen y est de 150 € environ. Ces consommateurs sont différents de ceux que nous recevons dans le point de vente physique. Ils sont plus jeunes, à la recherche de verres à dégustation. Via Internet, nous touchons une clientèle que nous n’aurions jamais eu en boutique physique. » En 2017, les ventes réalisées via le site e-commerce représentaient 55 % du chiffre d’affaires total de la maison Vessière, et Michel Descoust prévoit qu’en 2018, cette proportion dépassera 70 %. Pour l’heure, la clientèle de cet e-shop est française à 75 %, avec tout de même 25 % de commandes passées depuis l’Australie, les États-Unis, l’Inde ou la Thaïlande.
Daum célèbre ses 140 ans avec des fleurs
C’est une réinterprétation de ses premières amours, à savoir l’art floral, que Daum propose à l’occasion de son anniversaire, en mettant en avant l’Art nouveau et l’Art déco. Plusieurs modèles emblématiques sont réédités cette année, tels que la lampe Champignon ou la collection Empreinte (photo). Cette dernière se compose de 3 vases (un bleu profond, un vert émeraude, un vert finition à la feuille d’or en édition limitée à 75 exemplaires) et 2 bougeoirs (H 10 cm). Une rose véritable est par ailleurs en cours de création et éclora au mois de juin, parallèlement à son pendant éternel en cristal (édition numéroté), qui présentera une tige en bronze et la fleur en pâte de cristal, les deux en orange rose, la couleur emblématique de la maison, qui rappelle aussi celle du cristal en fusion.
Daum est également en train de mettre en place un pôle dédié à l’art de la table, à la suite de la relocalisation sur son site de Vannes-le-Châtel de la Cristallerie royale de Champagne, auparavant basée à Bayel.
Fascination pour la matière
Et, encore et toujours, le storytelling sur le point de vente, valorisera le produit. « La clientèle s’oriente vers la redécouverte des beaux produits, observe Laurent Corio (La Racine). Le verre et le cristal évoquent l’humanité et son génie, qu’il s’agisse d’une production manuelle ou industrielle, et exercent une fascination. Les consommateurs sont désireux de savoir ce qu’ils achètent vraiment, y compris la traduction via le produit de l’histoire des hommes et des outils qui le fabriquent. A ce titre, la contextualisation de l’objet iconique est une sorte de réassurance et insuffle de la force à l’objet. »
Autrement dit, susciter une expérience sensorielle et émotionnelle avec le produit porte ses fruits. Les visites de site de production, lorsque c’est possible, ou encore les lieux de convivialité ou l’expérience de marque, pour toucher la corde sensible de chaque personne.
Lalique, Cristal de Sèvres et d’autres, créent un point d’expérience avec la marque, qui attire le consommateur vers le point de vente. Les boutiques Baccarat adossées à un établissement de convivialité, tels que les B Bars, deviennent ainsi des lieux de destination pour les consommateurs, aux États-Unis notamment.
Avenir international
Même si les cristalliers ne se détournent pas du marché hexagonal, l’avenir n’est plus français, le marché y étant plus que mature. Et les chiffres sont plutôt évocateurs : 90 % du chiffre d’affaire de la cristallerie de Montbronn, sont réalisés à l’export et ce n’est pas un cas isolé : 70 % pour Daum, 80 % pour Lalique pour ne citer que ceux-là… « Le chiffre d’affaires des cristalliers en France avoisine 180 millions d’euros, essentiellement réalisé à l’export », indique Jérôme de Lavergnolle.
Cette tendance n’est d’ailleurs pas récente, la plupart des cristalliers, tels que Baccarat, ont connu rapidement une extension internationale, leurs produits ornant les tables royales ou des ambassadeurs… Cette tendance reste à nuancer, notamment pour ce qui est de la verrerie de luxe : l’accroissement du nombre de points de vente distributeurs dans le paysage français est un des objectifs 2018 de Riedel, qui souhaite aller au-delà de son partenariat avec la maison Bernardaud et accroître le nombre de points de distribution. Un écho similaire entendu chez Cristal de Sèvres (qui propose des produits en cristal et en cristallin) ou Lasvit.
L’international évoque aussi la clientèle des points de vente (à proportion variable selon la nature de ceux-ci), un des piliers du groupe de consommateurs de produits de luxe, et autres les legendary guests. Ceux-ci sont souvent en quête « d’un aménagement complet de la maison, avec pour le cristal et le verre : le luminaire, la décoration et la verrerie », observe Camille Couste (Printemps). Le grand magasin du boulevard Haussmann a d’ailleurs mis à profit son réagencement en 2017, avec une présentation lifestyle, pour mettre en place le service personal shopper : instauré à l’été dernier, celui-ci est animé par une équipe de décorateurs d’intérieur. « Nous travaillons actuellement sur la liste de mariage et le premier équipement, avant d’évoluer vers l’art de la table et la verrerie, ce qui sera sans doute précédé de l’objet décoratif », indique Sabrina Ficcara, personal shopper du Printemps.
Un nouvel habit de lumière pour le Cristal room Baccarat
Le restaurant, situé au sein de la maison Baccarat dans l'ancien hôtel particulier de Marie-Laure de Noailles, s’est métamorphosé sous l'œil expert du célèbre décorateur Jacques Grange. Installé au 1 er étage de l’hôtel particulier, le Cristal room a conservé une partie de son décor originel, déjà préservé par Philippe Starck en 2003.
Les anciens murs en briques sont désormais rehaussés d’un mur, orné de 576 tuiles de cristal, coordonnées aux lustres blancs trônant au centre du salon. Le décorateur a surtout introduit les couleurs vives déclinant des fauteuils en velours rose fuchsia ou vert pistache faisant écho à la cuisine innovante du jeune chef Mathieu Méchéri. Installé au même étage, un nouveau bar lounge B Bar permettra aux convives de déguster un cocktail “cristal des rois” et découvrir la luxueuse collection des verres Baccarat.
A noter également que dans le parcours d’équipement de la clientèle, l’entrée dans la marque se fait souvent par des pièces de décoration ou le luminaire, avant d’être sur la table. Le cristal et, dans de moindres proportions, le verre, ne sont plus à présenter isolés, mais dans un univers. La Cristallerie de Montbronn s’associe par exemple avec 8 entreprises du Grand Est spécialisées dans le luxe (sols, murs, accessoires en fourrure, etc.) : ensemble, elles ont ouvert en avril un showroom rue Chapon à Paris. « Ce lieu n’est pas dédié à la vente afin de ne pas concurrencer nos distributeurs parisiens, précise Frédéric Muller, président de la Cristallerie de Montbronn. C’est un lieu pensé comme une vitrine, qui n’est pas ouvert au public mais qui présente nos produits mis en situation. »
Enfin, autre point de réflexion du côté des fabricants : prendre part ou non aux salons retail, certains fabricants les délaissant, pointant la faible capacité de ceux-ci à attirer pour eux de nouveaux clients. Il est aujourd’hui clair que s’ils ne s’en détournent pas complètement, ils misent sur l’international et des salons davantage orientés vers la prescription.