Dossier

Porcelaine française : un marché en transition

28 septembre 2017

Le secteur de la porcelaine en France a connu ces dernières années de profondes mutations. Pour résister, les marques nationales sont condamnées à exporter et à innover.

Aujourd’hui, une dizaine d’acteurs significatifs se partagent le marché de la fabrication de porcelaine en France », indique Guy Bourgeois, vice-président du Comité Francéclat, comité professionnel au service – entre autres – du secteur des arts de la table. « Bernardaud, Hermès, Haviland, Raynaud, Deshoulières, Revol, Degrenne, Pillivuyt, J.L Coquet… » ont dû affronter de grands défis ces dernières années. « Depuis 15 ans, le marché de la porcelaine a connu des transformations considérables, en partie dues aux évolutions de la société et aux bouleversements des modes de consommation », analyse Guy Bourgeois. « L’utilisation de la porcelaine était très normée depuis le XIXe siècle. Aujourd’hui, c’est un bien de consommation courante comme un autre. » 

Parallèlement, les marques françaises ont dû faire face à l’arrivée massive de produits d’importation d’Asie (Chine, Vietnam, Thaïlande…) à petits prix. « Aux yeux des consommateurs, la valeur d’un objet en porcelaine a baissé, en euros et en perception », commente le vice-président du Comité Francéclat. 


Miser sur l’export 

Ces changements ont eu des répercussions pour les fabricants français. Des manufactures historiques ont dû se résoudre à fermer. Les autres ont adopté de nouvelles stratégies. « La fabrication française de porcelaine entrée de gamme a totalement disparu, poursuit Guy Bourgeois. Il est impossible de fabriquer une assiette en porcelaine en France à moins de 6 ou 7 €. 

En France, Pillivuyt veut séduire les particuliers

Basée à Mehun-sur-Yèvre (Cher), la manufacture Pillivuyt s’apprête à fêter ses 200 ans. « Avec 190 salariés, nous réalisons un chiffre d’affaires annuel d’environ 14 millions d’euros, indique son directeur commercial Benoît Lockhart. 45 % sur le marché français et 55 % à l’export. » A l’international, l’entreprise vend principalement au Danemark et en Norvège, aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne, en Australie, en Corée, au Japon et un peu au Moyen Orient. « Demain, nous souhaitons développer de nouveaux marchés tels que la Russie ou la Chine », poursuit Benoît Lockhart. Aujourd’hui, le C.A. global de Pillivuyt est réalisé à parts égales entre professionnels (CHR) et grand public. Sur le marché français, plus de 80 % du C.A. sont issus des clients professionnels. «Ces dernières années, nous avons mis en place des stratégies pour toucher davantage les particuliers avec de nouveaux distributeurs, une force commerciale dédiée, de nouveaux produits », rapporte Benoît Lockhart. Une boutique éphémère a même été testée à Bourges (Cher) l’année dernière avec une sélection spéciale et des aménagements inspirés des pays scandinaves. L’opération a été un succès et devrait être renouvelée sur d’autres territoires. Pour lutter contre la concurrence des produits à bas prix, Pillivuyt compte sur des articles innovants, adaptés à tous les types de feux, qui permettent de cuisiner, servir et conserver les préparations dans un même récipient. La manufacture mise aussi sur le digital, avec un site e-commerce et un projet de mise en place d’une équipe dédiée à la communication sur les réseaux sociaux.

Les assiettes fabriquées en Asie sont vendues 2 à 3 €... » Deux types d’entreprises subsistent donc : « Celles qui ont un positionnement luxe et celles qui ont un positionnement milieu-haut de gamme », précise Thierry Villotte, président de la Confédération des arts de la table. Sur le marché français, les marques, notamment luxueuses, ont souffert de la disparition du marché de la liste de mariage. Elles se sont tournées vers l’international pour profiter de l’aura du made in France au-delà de nos frontières. « Certaines réalisent plus de 80 % de leur chiffre d’affaires à l’international, note Guy Bourgeois. En moyenne, l’export représente 30 % à 80 % du chiffre d’affaires des fabricants fran- çais. » L’export constitue donc un enjeu capital. Selon Thierry Villotte, les Etats-Unis, la Chine ou le Japon sont des marchés clés : « En Chine par exemple, plus de 200 millions de personnes ont un pouvoir d’achat proche de celui des Européens. 

Mais c’est un marché compliqué, fondé principalement sur le digital. D’où l’importance de fédérer les différents acteurs français pour mettre en place des actions communes pour augmenter leurs ventes à l’étranger.» Pour les marques de luxe, les pays du Moyen-Orient constituent de véritables opportunités. En Europe en revanche, la conquête de parts de marché est plus difficile. « L’Allemagne, l’Angleterre ou l’Italie sont des pays de tradition porcelainière qui ont leurs propres marques bien implantées », explique Guy Bourgeois.


Multiplier les innovations

Pour maintenir leur présence sur un marché français plutôt atone, les fabricants ont dû se réinventer. « Auparavant, les acheteurs choisissaient un service pour plusieurs décennies, décrit Guy Bourgeois. 

Aujourd’hui ils veulent parfois des assiettes pour un dîner le lendemain, ils mélangent les services. La table est devenue un moyen d’expression de sa personnalité » Avec pour conséquence pour les fabricants : s’adapter à ces évolutions, produire plus vite, lancer des collections plus souvent. « Les acheteurs veulent des formes, des couleurs, des décors différents », analyse Thierry Villotte. 

D’ailleurs un consommateur qui acquiert du haut de gamme achètera aussi probablement du petit prix. » Les fabricants multiplient donc les collections saisonnières, les séries limitées. Le marché des professionnels de l’hôtellerie restauration, qui représente environ un tiers des ventes, suit une évolution parallèle. « Les restaurateurs aussi cherchent à se différencier de leur voisin, à se renouveler. Sur cette cible, les marques milieu de gamme doivent faire face à la concurrence asiatique », estime Guy Bourgeois. « En revanche, les restaurants étoilés continuent de faire appel aux fabricants français, à qui ils demandent souvent de créer un service spécialement pour eux », observe Thierry Villotte. 

J.L Coquet mise sur son savoir-faire et l’exclusivité 

A une vingtaine de kilomètres de Limoges, la manufacture J.L Coquet, qui emploie 80 personnes environ, prépare et affine toujours sa propre pâte à porcelaine, ce qui lui garantit des produits d’exception. En 2016, son chiffre d’affaires avoisinait 4,5 millions d’euros. « Dont un million d’euros pour les collections de la marque Jaune de Chrome », précise Christian Le Page, PDG du groupe J.L Coquet, qui a fondé cette marque de luxe très sélective en 1980.

 « Actuellement, 60 % de notre C.A. proviennent de l’export et 40 % du marché français. » A l’international, la Russie, l’Inde, le Moyen-Orient et le Japon sont particulièrement dynamiques. «Ces dernières années, il y a eu un ralentissement sur le marché italien et aux Etats-Unis où nous étions bien implantés », constate Christian Le Page. 

En France, les deux marques se sont développées notamment grâce à l’implantation au sein du grand magasin parisien Le Bon Marché. « Nous souhaitons à l’avenir être présents à l’international dans d’autres grands magasins iconiques. » L’ouverture d’un site e-commerce est en outre prévue courant 2018. Sur le marché professionnel, le groupe réalise une part importante de son C.A. grâce à son activité de services sur mesure pour des chefs étoilés, tels qu’Alain Ducasse. 

La manufacture souhaite multiplier les collaborations avec les restaurants gastronomiques. « Et de plus en plus leur proposer des créations originales et exclusives, comme par exemple des objets d’attente entre deux plats », confie Christian Le Page. 



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