Bien installée et en constante progression dans le CHR, la mode du cocktail commence à investir le domicile des consommateurs, désireux de s’équiper de produits spécifiques, en particulier en verrerie. Zoom sur un phénomène qui, sur le marché de détail, n’en est certes qu’à ses balbutiements, mais va en s’affirmant.
Hyper dynamique. Ce sont les termes qui reviennent
le plus souvent lorsque les fabricants de verres
qualifient le segment du verre à cocktail. Le phénomène est particulièrement marqué depuis trois ans
environ. A l’origine de celui-ci, un mouvement progressif
d’ouvertures de bars à cocktail à Paris et en province
depuis 2010, poussé par un attrait de plus en plus
prononcé des consommateurs. « D’une part, il y a une
population qui voyage de plus en plus, bénéficiant d’une offre
large dans les grandes métropoles européennes telles que Berlin,
Barcelone et Londres, et qui recherche le même type d’établissements
en France, qui était en retard sur ce segment,
analyse Eric Fossard, cofondateur
de la Paris Cocktail Week.
D’autre part, le cocktail n’est
plus une “niche” exclusivement
consommé dans des établissements
réservés à une catégorie socioprofessionnelle élevée. Aujourd’hui, il
s’est clairement démocratisé, et l’offre est perceptible par le grand public.
» Loin d’avoir déserté le terrain des établissements de luxe,
le cocktail investit aussi aujourd’hui des lieux populaires, répondant
au besoin général de rencontre dans un contexte décomplexé.
Il serait même « préféré au vin par les jeunes consommateurs »,
observe Jean-Loup Ravinet, dirigeant de Ravinet d’Arc et distributeur
des marques Spiegelau et Nachtmann.
La France, qui figure parmi les premiers producteurs de spiritueux
au monde, n’a donc plus à rougir de son offre en la matière dans le
secteur CHR. Celle-ci surfe sur plusieurs éléments, à commencer
par la création de moments de consommation de type after works
ou de cocktail tours ou weeks, dans les capitales et en province.
Le terme “mixologie”, avec sa connotation professionnelle voire scientifique,
est révélateur d’une offre aujourd’hui élaborée, notamment avec des produits home made (sirops, etc.). Bien entendu, en horeca,
les convives sont perpétuellement à la recherche d’expérience, d’ambiance,
d’émotion et l’acte créatif qui se met en œuvre derrière le bar
suscite leur engouement. En tête d’affiche : le barman ou bartender,
qui endosse pratiquement un rôle éducatif en leur faisant découvrir
de nouveaux ingrédients, goûts et mélanges… et qui permet aux
établissements de se différencier de leurs concurrents.
Une histoire de goût… mais pas seulement
Les saveurs à elles seules ne suffisent pas à se démarquer : elles requièrent une mise en scène, et c’est particulièrement vrai en matière de mixologie. « Chaque cocktail est une histoire qui s’apparente aux coupes à glace, avec un effet waouh qui doit opérer pour chaque convive », estime Sylvie Amar, du cabinet de style éponyme et auteur d’un cahier de tendance Cocktails en fin d’année 2016. Il est d’autant plus important de miser sur la présentation que le cocktail est un produit qui reste cher. C’est une des raisons pour lesquelles l’outil qu’est le verre s’est considérablement développé, détrônant ceux offerts par les alcooliers, qui occupaient majoritairement le terrain il y a une quinzaine d’année. Avec un effet non négligeable sur la dégustation, le mot “cocktail” évoquant à lui seul une certaine élégance et sollicitant l’imaginaire de chacun. « Loin de se limiter au seul contenu, le cocktail mobilise tous les sens, souligne Julien Defrance, cocktail designer et gérant de Likidostyle, société spécialisée dans l’événementiel bar et cocktail. Le verre a une influence considérable : il doit non seulement être agréable au toucher et au buvant, mais aussi esthétique, pour un ensemble appétant. La perception du goût est magnifiée par celle visuelle qui s’opère en amont : le ping-pong est permanent entre la création et la forme du verre, avec une réflexion sur le contenant utilisé, car il contribue à l’expérience du liquide. » Autrement dit, le verre doit certes surprendre, mais doit aussi correspondre au goût de son contenu, ainsi qu’à certains repères inscrits dans la culture collective : un classique tel que le mojito servi dans une flûte à champagne ne remportera pas l’adhésion du consommateur, même si cela n’a au fond pas d’incidence sur le goût. De fait, certains verres classiques (verres à martini, margarita, etc.) restent donc indétrônables.
Le vintage, star des comptoirs
De même, « servir un cocktail ancien dans un verre de forme moderne
n’est pas particulièrement adapté », souligne Anne Cécile Wuillaume,
responsable marketing chez Durobor. Or, cette redécouverte du
cocktail en France, avec une montée en qualité des préparations proposées,
est un véritable retour aux sources et aux goûts ancestraux :
« Les recettes traditionnelles sont revisitées et les anciens alcools reviennent
sur le devant de la scène », indique Sylvie Amar. Les verriers ont donc
emboîté le pas à cette tendance pour proposer une offre au design
souvent vintage, aux formes généreuses et ciselées, parfois juchés
sur jambe... Les modèles anciens sont redessinés, voire réédités pour
plonger le consommateur dans l’atmosphère de la Prohibition, ou
encore des années 1970… « Le retour au motif “carreau de ciment”,
qui se ressent depuis quelques mois, est une tendance qui fonctionne bien »,
note Alexis Evrard, directeur commercial chez Bruno Evrard. « Des
modèles type coupe à champagne sont également très demandés pour le
service des cocktails », renchérit Anne Cécile Wuillaume.
La surprise par le contenant s’observe également dans un autre univers,
celui du laboratoire. « L’objectif est le mélange des bons ingrédients
à la bonne dose : de la précision pour parvenir à la note gustative juste »,
décrit Laurent Chignon, directeur de la marque Arcoroc.
Des consommateurs de plus en plus exigeants
De fait, « les bars et les restaurants ont aujourd’hui besoin d’originalité et
de produits qui répondent à ces nouvelles fonctions, et sont la locomotive
de la tendance cocktail, décrypte Cécile Giraud, directrice générale de
La Rochère. Mais le marché de détail est lui aussi bel et bien demandeur. »
Le fameux mojito a effectivement fait entrer le grand public dans
l’univers du cocktail, et aujourd’hui le consommateur reproduit chez
lui ceux qu’il déguste dans les établissements. « Le spritz en est l’illustration,
remarque Eric Fossard. Le consommateur a soif d’apprendre,
à l’instar de l’engouement pour le fait maison dans le domaine culinaire.
D’ailleurs, le nombre d’ouvrages sur les cocktails récemment édités, y compris
en langue française, le prouve. »
Et ce qui s’observe dans le segment de la cuisine se vérifie là aussi :
le grand public recherche les articles qui se rapprochent le plus des
produits professionnels. « Le secteur CHR est en demande de produits de
plus en plus spécifiques », observe Olivier Blondeau, agent commercial
France de Bormioli Luigi. Des gammes sont donc développées sur ce
thème, qui sont également proposées aux détaillants. » Car les besoins
de fonds du secteur professionnel et du grand public se croisent :
« Un verre beau mais résistant pour un cocktail festif, voire outdoor,
pour de bons moments à partager et pour trinquer », interprète Nicolas
Bigot directeur commercial art de la table de La Rochère.
Et certains fabricants qui travaillaient jusqu’alors principalement
avec le CHR, forts de leur expertise en la matière, proposent également
une offre adaptée aux besoins du marché de détail. C’est par
exemple le cas de Durobor : « Compte tenu de l’enthousiasme pour les
verres à cocktail, nous avons développé une gamme spécifique pour les particuliers,
poursuit Anne Cécile Wuillaume. Nous proposons une sélection
de huit modèles de notre offre de bar destinée aux détaillants sous la forme
de sets de deux verres, avec un packaging didactique pour sensibiliser le
consommateur sur l’importance de la forme et du choix du verre selon le
type de cocktail qu’il souhaite servir. »
Des signaux encourageants dans le retail
Concernant le marché de détail, les fabricants et les commerçants
reconnaissent unanimement que la mode du cocktail est encore trop
récente pour mesurer concrètement son impact sur les ventes. Celleci
est néanmoins palpable, avec une tendance optimiste au retour du
salon Ambiente, où les exposants font globalement état de contacts
plutôt encourageants avec les grossistes et les acheteurs du retail
pour le segment de la mixologie.
« Nous observons en outre un phénomène de sensibilisation sur le marché de
détail, relève Frédéric Morin-Payé, directeur marketing de Duralex.
Chez les détaillants français, la profondeur de gamme était courte, les
acheteurs ayant coutume de sélectionner uniquement les tailles standards
en gobeleterie, à savoir 16 ou 20 cl. Or nous nous apercevons que nos long
drinks vendus sur des sites de e-commerce performent très bien auprès du
grand public, ce qui est assez révélateur. Ainsi, les habitudes des acheteurs,
qui deviennent plus enclins à prendre le risque, se modifient peu à peu. »
Un phénomène en cohérence avec les tendances observées dans
les points de vente. « La place des articles dédiés à la mixologie est plus
en plus importante compte tenu de la tendance et notre offre se concentre
notamment sur les verres, indique Mehdi Horry, chef de produits
table-décoration chez Ambiance & Styles. Pour le consommateur,
l’optique n’est pas de reproduire un vrai bar à cocktail chez lui. « Cela
nécessite beaucoup de verres et de matériel, de bouteilles, etc. Il est préfé-
rable de choisir deux ou trois cocktails que l’on apprécie particulièrement,
et d’acquérir les ingrédients nécessaires à sa réalisation : dans le cas du mojito, s’équiper de six beaux tumblers, d’un pilon et avoir de la menthe
fraîche toute l’année dans sa cuisine », recommande Julien Defrance.
Les fêtes de fin d’année, mais aussi l’entrée dans l’été sont des moments
où la demande est particulièrement marquée. « Les verres à
cocktail représentent une idée de cadeau idéale, qui dure dans le temps,
avec peu de prise de risques en termes de style, et symbole de moments de
partage », ajoute Laure Bocquel, chef de produits “table quotidienne”
au Printemps.
Enfin, il est utile de garder en mémoire que le cocktail rime avec
apéritif, réception, ambiance festive… L’offre en verre peut donc
avantageusement être complétée avec des pailles, des cuillères à cocktail
ou des agitateurs, des contenants pour les amuse-bouche, des serviettes,
des pilons, des ustensiles de préparation, voire une fontaine
à cocktail, etc. « Les coffrets ou les kits de préparation plaisent beaucoup,
affirme Mehdi Horry. Tout y est intégré et le consommateur n’a plus qu’à
effectuer son mélange chez lui. » Autrement dit, le cocktail représente
aussi une occasion propice à la réalisation de ventes additionnelles.
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