« Les clients ont toujours été sensibles aux beaux gestes en salle »

03 avril 2018
Par : Sophie KOMAROFF

Gil Galasso, maître d’hôtel et chevalier des Arts et des Lettres depuis janvier, présentera en septembre prochain une thèse première du genre sur le service en salle. Une pierre à l’édifice d’une démarche visant à faire perdurer l’art de la découpe. Entretien.

Quels sont les facteurs qui ont motivé votre travail de thèse ?

Je voyais que ma profession mourrait à petit feu, ne faisant l’objet d’aucune couverture médiatique, avec des chefs qui n'arrivent plus à recruter en salle et simplifient la distribution à son minimum en oblitérant complètement leurs équipes de salle. Pire que tout, j’observais que certains directeurs de salle lâchaient, reniaient leurs propres gestes et s'inscrivaient dans un syndrome de “serviture” volontaire contre lequel je me suis toujours battu. Je suis en effet absolument persuadé que la gastronomie française a besoin des maîtres d'hôtels. Ce métier complexe et difficile est impossible à remplacer par un trio hôtesse d'accueil/chef amphitryon/sommelier.

Pourquoi l’usage de la découpe décline-t-il depuis la moitié du XXe siècle ? Et comment faire perdurer cet art ?

Il y a plusieurs facteurs que je développe longuement dans ma thèse. Il faut cependant prendre du recul sur les événements, nous parlons d'un déclin sur une période de 30 ans, alors que cet art a une histoire de plusieurs millénaires et a survécu à toutes les crises gastronomiques de l'histoire.

Qu’en est-il de cet art à l’étranger ?

Nous, Français, avons la chance d'exceller dans cet art, même si nous parlons d'un tout petit groupe de spécialistes. A l'étranger, nos gestes sont souvent copiés, avec plus ou moins de succès. Nous sommes toujours la première nation de la découpe en salle. C’est à nous de transmettre le plus largement possible notre savoir, auprès des jeunes et en utilisant les réseaux sociaux pour faire perdurer cette “école de la découpe à la française”, qui est née au début du XVIIe siècle.

Comment l’art de la table est-il perçu aujourd’hui dans la restauration ? A quel point les convives y sont-ils sensibles ? Quelles tendances observez-vous ?

Il faut que le maître d'hôtel, le directeur de salle, redevienne force de proposition pour son chef. Actuellement nous subissons des décisions imposées par la cuisine, alors que nous devrions être à la pointe de la connaissance sur les arts de la table, pour justement faire des suggestions aux chefs, par un savoir que nous devons posséder, en liaison avec les porcelainiers, les orfèvres, etc. Cette volonté est clairement exprimée dans la grande charte du service à la française que nous avons constituée l'année dernière.


Vous avez présenté un master sur le thème de la promotion des métiers de la salle auprès des adolescents. En quoi, selon vous, ces métiers ont-ils le potentiel pour séduire ?

Notre métier n'étant pas médiatisé, il est normal que les jeunes, les familles et les enseignants de collège ne soient pas intéressés par celui-ci. Je me suis donc intéressé à ce qui motivait réellement un adolescent de 13, 14 et 15 ans et j’ai réussi à établir des liens forts avec les valeurs des métiers du service en salle. Cela me permet de mieux leur parler de ce métier. Par exemple, une jeune fille sortant de l'enfance est confrontée à de nouvelles valeurs humaines, telles que la bienveillance (ce qu'on appelle en psychologie de l'adolescent “l’élan du cœur”), ou à des valeurs liées aux habits, au maquillage, aux postures physiques (ce que l'on nomme “l’élan du corps”). Notre métier constitue un formidable ascenseur social.

En matière d’art de la table, quels sont vos choix de prédilection ?

Je fonde mes techniques sur des théories puisées dans l'histoire des arts, à savoir des liens forts entre nos racines et l'innovation nécessaire à hisser nos recettes et nos gestes au même niveau que la cuisine des chefs. Pour expliquer ma démarche, j'ai créé une chaîne vidéo YouTube destinée à expliquer comment nous pouvons redevenir force de proposition au plus haut niveau de la gastronomie française.


Quelles sont les principales attentes des convives en termes de service en salle ?

Les clients ont toujours été sensibles aux beaux gestes en salle, ainsi que les chefs d'ailleurs. Il convient juste de réajuster nos techniques pour qu'elles correspondent aux clientèles actuelles. Les restaurants, y compris étoilés dans lesquels ils ne se passe plus rien en salle, sont tristes. Il est impossible de fonder la relation client sur la seule annonce des plats. Il faut surprendre, impressionner, créer une ambiance en plus de l'assiette.


Voir aussi :

Histoire de l’art de la découpe à table : trajectoires 1699-2014

Les découpes de viandes ou les filetages de poisson, destinés aux rois et aux nobles dans les siècles passés et, plus récemment, aux clients de la restauration traditionnelle, font partie de l’histoire de la gastronomie. Considérée comme une technique ou une science, voire, par certains, comme un art, cette pratique a connu plusieurs évolutions dans l’histoire.

Dès le Moyen Age, elle s’est éloignée des techniques de la boucherie pour revêtir une dimension artistique. À partir de la Renaissance et jusqu’au XVIIIe siècle, les viandes sont filetées par de véritables spécialistes qui effectuent des gestes empreints d’élégance, tel celui qui consiste à découper les viandes maintenues en l’air en haut d’une fourchette.

A partir du XVIIIe siècle, la découpe doit s’adapter aux changements sociaux : à la fin de l’Ancien Régime, en France, elle connaît une première grande évolution à la suite de changements radicaux dans la manière de concevoir la cuisine, puis avec l’apparition du service à la Russe et la mise en valeur des pièces rôties, au centre du repas, évolution bientôt suivie par d’autres, en grande partie influencées par Antonin Carême et Urbain Dubois.

Par la suite, plusieurs transformations sociales, culturelles et professionnelles auront leur importance : la popularisation des sports d’hiver marquera le déclin du poste de maître d’hôtel, par exemple, ou encore la loi Godart (juillet 1933), relative au contrôle et à la répartition des pourboires, cristallisera le conflit cuisine/salle. Enfin, les “commandements de la Nouvelle Cuisine” prônés par Christian Millau et Henri Gault (1973) imposent la généralisation du service à l’assiette et rendent la science du maître d’hôtel obsolète.

Les pratiques de la découpe sont également présentes dans le foyer familial, mais en déclin depuis la moitié du XXe siècle. Malgré tout, l’art de la découpe a survécu sous forme de technique, dans certains restaurants et les écoles hôtelières, où il fait l’objet de débats houleux entre les enseignants et les professionnels. La restauration française, actuellement en difficulté et en recherche de repères, a sans doute beaucoup à gagner de ces travaux sur les découpes et les filetages devant les clients. En ce début du XXIe siècle, elle pourrait y retrouver une authenticité ancrée dans des racines profondes.

Source : résumé de thèse de Gil Galasso


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