La RSE dans l’industrie textile devient une préoccupation majeure en raison de multiples enjeux soci
Dossier
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Linge de table : un voile d'incertitude
Dans un contexte international incertain, les fabricants se montrent agiles. Ils misent sur les labels, une matière renforcée, ou des changements de collections.
«La fin d’année est toujours très forte sur le linge de table,
mais, comme l’an dernier, les marchés sont complexes,
relève Isabelle Parmentier, responsable marketing opérationnel chez Garnier-Thiebaut. L’année s’est globalement bien déroulée
pour la marque présente dans 80 pays, malgré la hausse des coûts de
l’énergie, après une pénurie de coton en 2021 et des difficultés de recrutement.
« Notre analyse est que nous nous en sortons bien car nous misons sur la création, avec 15 nouveaux modèles par collection », commente Isabelle Parmentier. Les pourcentages à l’export, assez stables, se répartissent quant à eux différemment : « Nous avons réalisé une bonne année 2022 avec les États-Unis, mais dans les pays de l’Est, où nous étions forts, nous avons été quasi-absents. L’Asie se développe bien. » La clientèle étrangère est en effet essentielle pour la filière. Un atout dans un contexte où la clientèle locale a limité ses achats par rapport à l’année dernière – 2021 a été une très belle année pour le linge de table et d’office. Les consommateurs, équipés en 2021, ne rachètent pas forcément l’année suivante.
« Le linge de table est en relation directe avec l’art de vivre à la française et la convivialité, appréciés à l’étranger, nous vendons beaucoup à l’international », souligne Cécile Artis, chef de marque chez Alexandre Turpault. Le Jacquard Français, qui vend aussi beaucoup aux touristes étrangers, a réalisé une année globalement positive : « 2022 est revenue aux chiffres de 2019, avec même une légère croissance », se réjouit Béatrice Brandt, sa directrice générale, par ailleurs nommée, en janvier dernier, à la présidence de la commission export de l’Union des industries textiles (UIT).
LES LABELS : UN ATOUT
Pour s’exporter, la marque Harmony s’est muée en Haomy. « L’export
est passé de 17 % à 28 %, annonce Lionel Dubos, son président. Nous
travaillons pour atteindre 45 %. » Pour ce faire, la société a recruté des
commerciaux aux Pays-Bas et participe aux salons de New York et Las
Vegas. Elle a également demandé la labellisation Made in green. « Pour
l’export, la griffe Made in green est un plus, souligne Lionel Dubos. Nous
voulons que 98 % de nos gammes soient labellisées, pas dans le bio,
mais sur tout ce qui va dans le sens de la qualité ».
Isabelle Parmentier mise également sur les labels, hors bio : « Le coton
bio ne provoque pas un engouement particulier : si un motif fonctionne
bien, peu importe que le tissu soit bio… En revanche, l’intérêt des clients
se développe sur des labels tels que Vosges terre textile et France terre
textile, et le label Entreprise du patrimoine vivant, que nous venons de
renouveler ». Chez Haomy, le lin est Europeen Flax : « Nous n’utilisons
que ce lin-là, nous certifions l’origine grâce à la Confédération européenne du lin et du chanvre (CELC) qui délivre ce label, qui sera de
plus en plus connu. »
« Le mix produit évolue, avec davantage
de sets de table et moins de nappes,
mais cela se compense en termes
de chiffre d’affaires. »
Béatrice Brandt (Le Jacquard Français)
LA NAPPE : UN PRODUIT “DÉCO” ET DURABLE
Frederik Leriche, PDG de Calitex qui a racheté la marque Nydel en 2017, repère une tendance : « Avant, la nappe était en lin, lourde, dédiée au repas de famille du dimanche. Aujourd’hui, c’est une décoration d’intérieure. Elle est passée de protection à décoration. » En boutique, cela se traduit par la nécessité de donner envie au client qui va l’acheter par coup de cœur : « Il ressort bien de nos enquêtes consommateurs que la cliente achète d’abord parce que le dessin est sympa. Ensuite, elle touche le produit, pour voir si c’est du polyester et, globalement, elle ne connait pas le prix d’une nappe. » Autre constat du dirigeant : « Les consommateurs ne sachant plus entretenir une nappe, ils préfèrent une enduction antitache à un coton traditionnel. Ils évitent également de devoir repasser. La tendance est à un produit facile. »
L’entretien du textile est en effet un sujet d’interrogation. « Dans les foires aux questions, les clients nous demandent aujourd’hui si le produit se lave et comment, alors qu’auparavant, ils voulaient savoir où il était fabriqué », relate ainsi Cécile Artis. Et d’insister : « Le lin est notre ADN. Nous nous appuyons sur notre savoir-faire. Le nôtre, tissé dans les Vosges et teint dans le Nord, s’améliore, nous l’avons renforcé. Nos produits durent et à l’avenir, ce sera encore plus important. »
UNE OFFRE ADAPTÉE
La clientèle des marques positionnées premium est moins impactée par
la crise. « Nous sommes portés par le made in France et la recherche de
produits durables », constate Béatrice Brandt (Le Jacquard Français) qui
dresse un bilan 2022 plutôt positif, même s’il a fallu s’adapter à toutes
les situations. « Nous avons augmenté nos tarifs en 2022 (du fait de la crise énergétique et la hausse des matières premières), ainsi que les salaires. »
ALTO DUO, JEUNE MARQUE “DÉCO”
Alto Duo, créée en 2021 par Paloma Morand Monteil et son frère, est positionnée sur le marché de la décoration intérieure. Elle s’est lancée avec le mobilier en bois et propose des produits autour de la table (nappes, serviettes, sets de table et essuie-mains). Les deux designers proposent des produits reposant sur la créativité et l’imaginaire, et sur deux savoir-faire pour le moment : la menuiserie et le textile. Les cofondateurs font le tour de France des savoir-faire pour diversifier leur offre, s’appuyant sur le fait que la clientèle internationale est férue de made in France. « Pour le textile, nous avons choisi les Vosges, car c’est le cœur du textile », souligne Paloma Morand-Monteil. La marque a commencé sa commercialisation avec le digital – via son site et l’e-commerce –, et en boutique, au musée du Centre Pompidou, et projette de se développer en physique. « Nous ouvrons notre réseau de boutiques distributeur en 2023, un à Paris à la rentrée, annonce la fondatrice. Nous aurons la chance d'être représentés en exclusivité au Bon Marché. Notre stratégie de développement est de déléguer à des boutiques spécialisées dans l’art de la table. Il faut expliquer la marque pour conquérir ces acteurs, qui ont parfois peur de se placer sur une nouvelle marque. »
En tant que fabricant, la marque se réjouit d’avoir assuré l’approvisionnement : « Nous avons eu zéro rupture, nos clients nous félicitent. Nous avions anticipé les départs à la retraite, quitte à avoir des doublons pendant les formations, tandis que d’autres sociétés manquaient de main-d’œuvre ». Le prix continuent d’exploser : dans le segment du linge de maison, certains pourront suivre, d’autres non. Avec une fibre de départ qui peut avoisiner 1,2 € pour 1 kg de coton quand 1 kg de lin coûte 4,5 €, Lionel Dubos présage un décrochage de la grande distribution, qui va sur le produit cher, mais le propose en moins onéreux : « Les marques resteront sur les produits nobles comme le lin, qui est thermorégulateur, consomme peu d’eau, et est très “RSE”, tandis que les GSS et la grande distribution seront davantage sur le coton. »
DES GAMMES RENOUVELÉES
Nombre de fabricants relèvent une augmentation des ventes de sets
de table, à moindre budget, mais une baisse de celles de nappes. Si
Alexandre Turpault vend énormément de serviettes et de sets, la marque
déclare connaitre aussi une hausse des ventes de nappes. Les tête-à tête en revanche, diminuent.
« Depuis 2 ans, les gammes labellisées
enregistrent une augmentation des rotations
de 25% ».
Lionel Dubos (Haomy)
« Nous sommes vraiment en train de vendre les produits chers », résume Cécile Artis. Alexandre Turpault propose des gammes d’unis et des nappes de fête. « Ce ne sont pas des nappes du quotidien, souligne la chef de marque qui relève une augmentation des standards : « Pendant longtemps, nous avons vendu beaucoup de 180 x 180 cm, maintenant, c’est plutôt 2,5 m, et de plus en plus souvent plus de 3 m. » Le contexte interroge cependant sur la suite. « Nous avons bien vendu cette saison. Nous verrons en février si les produits ont été livrés, note Frédérik Leriche, plus pessimiste sur l’environnement international – avec le conflit en Ukraine, le covid-19 et l’instabilité qui paralyse tout le monde.
Les coûts des matières premières et la guerre entrainent en effet
de nombreuses incertitudes. Avec des métiers à tisser et des teintures
qui utilisent respectivement de l’électricité et du gaz, l’évolution du prix
de l’énergie impacte fortement le marché du linge de table. Nombre
de consommateurs auront du mal à accepter des hausses trop fortes,
surtout s’ils ont l’historique… « Cela pousse à opérer des changements
radicaux de collections, conclut Lionel Dubos. À un moment, la question
est : “Préférez-vous augmenter les prix de 40 % ou continuer à vendre ?”
A nous de renouveler les gammes de façon professionnelle ! »