Portés par différents courants de consommation, les arts de la table multiplient les tendances. Off
Dossier
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Linge de table : Une filière toujours plus engagée
La RSE dans l’industrie textile devient une préoccupation majeure en raison de multiples enjeux sociaux, environnementaux et éthiques. Dans un contexte économique incertain, les marques poursuivent leur mue vers une offre plus durable et des produits plus vertueux.
S’il y a une filière dans laquelle le sujet de l’écoresponsabilité
est particulièrement prégnant, c’est bien celle du textile. Selon l’Agence de la transition écologique (Ademe), elle compte
parmi les plus polluantes au monde, en particulier depuis les années
2000 avec le développement de la fast fashion. « 25 % des substances
chimiques produites dans le monde sont utilisées par la filière textile »,
nous apprend Refashion, l’éco-organisme de la filière textile qui englobe les textiles d’habillement, le linge de maison et les chaussures
usagés des particuliers. Prêt à porter ou linge de maison, les étapes
de fabrication sont les mêmes : filature, tissage, teinture/impression,
ennoblissement et confection. Cependant, s’agissant des volumes, le
linge de maison et l’habillement ne jouent pas dans la même catégorie :
« Le linge maison représente 15 % du chiffre d’affaires des industriels
français, souligne Sophie Frachon, responsable développement durable
et RSE à l’Union des industries textiles (UIT). Et surtout, cette catégorie
ne fait pas l’objet d’une boulimie de renouvellement, contrairement à
l’habillement. » Toujours est-il que les marques de linge de maison françaises redoublent d’efforts afin de renverser la vapeur pour qu’industrie
textile ne rime plus avec pollution.
UN CONSOMMATEUR SENSIBLE ?
Même si selon Lionel Dubos, le consommateur n’est pas nécessairement très au fait de ceux-ci : « Le consommateur sait qu’Oeko-Tex, c’est bien, mais sans être réellement informé. Pour lui, le made in compte plus que les labels. » Audrey Debavelaere, responsable de la marque de linge de table et d’office Coucke (groupe Vanderschooten) majoritairement made in France et dont les gammes d’unis sont Origine France garantie, pointe un autre frein : « La RSE est un sujet important, mais nous sommes face aux difficultés du marché actuel. Le consommateur final a des intentions de valeurs, et c’est tout l’enjeu du marketing de valoriser la RSE.
Or face à cela, il y a le défi du prix et l’inflation ne permet pas aux consommateurs de rester sur leur ligne directrice. En particulier avec les matières nobles et naturelles telles que le lin, de plus en plus chères en raison de toutes leurs problématiques de production, et soumises à de fortes conditions tarifaires en raison des aléas climatiques. » Très impliqué dans l’écoconception, le groupe Vanderschooten, basé à Nieppe (Hauts-de-France), a notamment investi 2 000 000 € pour un projet de relocalisation de ses activités de confection, avec l’aide du Fonds européen de développement régional.
LE TEXTILE FRANÇAIS, UN MUST RSE
« En France, avant même les labels, il y a une électricité décarbonée, des normes strictes telles que celles européennes de règlement Reach, très exigeantes, encadrant l’utilisation des produits chimiques. Le textile français n’a donc rien à voir en termes de pollution par rapport à ce qui est fabriqué à l’autre bout de la planète. Les industriels français font de plus en plus de recherches pour utiliser moins d’eau, moins d’électricité, moins de produits chimiques », énumère Sophie Frachon (UIT). « L’industrie textile française fait de nombreux efforts pour être la moins polluante possible et n’est pas comparable à celle du grand import », renchérit Béatrice Brandt, directrice générale du Jacquard Français (groupe Elis) et présidente de la commission export de l’UIT depuis janvier 2023. Nos clients considèrent que le fait de fabriquer en France est déjà par essence plus vertueux que des produits venus du bout du monde. Et nous apportons de la transparence là-dessus. Au niveau de l’ennoblissement, c’est-à-dire les traitements des tissus l’étape la plus polluante, de nombreuses démarches visent rejeter une eau la plus pure possible.
De plus, les industriels français utilisent peu de matières synthétiques dans le linge de table, limitant ainsi considérablement la quantité de microparticules relarguées dans l’environnement. » A titre d’exemple, Garnier Thiebaut, certifié ISO 50001 et ISO 14001, dispose de sa propre turbine et d’une station d’épuration d’eau, avec une chimie maîtrisée grâce à une gestion consciencieuse des produits chimiques utilisés. L’entreprise optimise aussi ses recettes de teinture pour réduire l’utilisation des produits et la consommation d’eau. Et au printemps, elle installera un parc de panneaux photovoltaïques de 300 kWc et réalisera le premier projet d’autoconsommation collective d’électricité dans les Vosges avec Enedis. « Nous avons mis en place des stratégies pour pérenniser notre savoir-faire vosgien, poursuit en outre Margaux Parmentier, chargée de communication chez Garnier-Thiebaut. Nous misons sur les savoir-faire de nos collaborateurs pour assurer la qualité de nos produits. Nous favorisons le maintien des compétences, nous mettons en place des formations et des tutorats en interne. »
Un programme de formation en interne a ainsi été instauré afin d’assurer la pérennité et la transmission du savoir-faire de l’entreprise. Ce sont notamment de tels arguments qui ont incité Maryne Guyot à choisir des partenaires français lorsqu’elle a créé sa marque Maryne Guyot créations en 2022.
ANNE DE SOLÈNE INVESTIT DANS SON SITE FRANÇAIS
La marque de linge de maison Anne de Solène (groupe Home Heritage, ex-Dodo) a annoncé en décembre 2023 avoir investi plus de 300 000 € dans son outil de production du nord de la France. Depuis septembre, l’entreprise travaille en lien avec l’Institut français du textile et de l’habillement (IFTH), formant ainsi 10 confectionneuses en apprentissage. Celles-ci sont accueillies dans un atelier spécifique au sein de l’unité de confection, sous la tutelle du contremaitre et bénéficient pendant 3 mois de la présence à temps plein de formateurs de l’IFTH, avec à la clef, un contrat au sein de la société. Cette démarche rejoint le plan global instauré par l’entreprise, basée à Hallennes-lez-Haubourdin (Nord), qui a doublé en 3 ans son parc de machines et multiplié par quatre l’effectif de ses confectionneuses. Anne de Solène entend reconduire ces campagnes de formation afin de pallier les difficultés de recrutement dans ce savoir-faire manufacturier et vise un doublement de ses effectifs à 5 ans.
Anne de Solène
qui emploie plus de 180 personnes et enregistre un chiffre
d’affaires de 26 millions d’euros, renforce également sa
présence sur le marché nord-américain avec le lancement
d’une boutique en ligne grand public aux Etats-Unis, pour
un investissement de plus de 200 000 €. La marque y est
présente depuis 2013 avec une filiale basée à Miami
et y génère 10 % de son chiffre d’affaires via une présence
physique et digitale en grands magasins (Bloomingdale’s,
Saks Fifth Avenue, Neiman Marcus, Hudson Bay) et chez
son réseau de distributeurs. Avec ce nouveau canal,
Anne de Solène entend dynamiser sa présence sur les
marchés américains avec une sélection de produits
fabriqués en France, et annonce que la prochaine étape
de son déploiement à l’international sera l’Asie.
« Je ne suis pas fabricante,
j’hérite donc des engagements de mes fournisseurs qui sont tous en France à l’exception
d’une usine au Portugal pour l’impression, Pour
cette année, je souhaite relocaliser cette étape
d’impression en France pour une production encore plus responsable », explique Maryne Guyot.
La fabrication française était un pilier du projet,
pour des critères RSE et d’agilité. Faire produire
à l’autre bout du monde alors que nous avons
des savoir-faire en France me paraissait incohérent et travailler avec des entreprises françaises
est un réel gage de qualité et de rapidité. »
Même approche pour la jeune marque Alto Duo
pour laquelle le choix d’une production française
était d’abord une façon de limiter son impact
carbone : « Les manufactures avec lesquelles
nous sommes partenaires depuis plusieurs années sont toutes basées dans les Vosges (label Vosges Terre Textile) : tissage, impression,
confection. Le résultat : du linge de table vosgien
de A à Z ! Nous travaillons principalement avec
des entreprises familiales, respectueuses des individus et offrant des conditions de travail bienveillantes », fait valoir Paloma Morand-Monteil,
cofondatrice d’Alto Duo.
DÉCARBONATION : LA FILIÈRE TEXTILE SE MOBILISE
Les recommandations de ce guide reposent sur le retour d’expérience opérationnel de ces 16 entreprises, l’expertise de WeCount et la dizaine d’experts impliqués dans ce programme. Ce guide concerne les impacts carbone de la filière textile. Les autres externalités négatives (impacts sur la biodiversité, pollution de l’eau et de l’air) n’y sont pas analysées.
CHIFFRES CLÉS
L’industrie textile française dans son ensemble (toutes catégories confondues) représente :
> environ 2 200 entreprises ;
> environ 63 000 emplois ;
> 15,5 milliards d’euros de chiffre d’affaires…
> … dont 12,9 milliards d’euros à l’export.
LA FRIPE, POUR LA TABLE AUSSI
Le linge de maison peut-il lui connaître, à l’instar de l’habillement, l’engouement pour la seconde main ? Sur le linge de lit, Lionel Dubos estime « difficile de vendre une housse de couette en seconde main ». Côté table, les freins ne sont pas les mêmes. Le Jacquard Français a lancé son offre de seconde main en fin d’année 2023, partant du postulat que de nombreuses nappes “dorment” dans les placards des ménages. Pour les en faire sortir, l’entreprise vosgienne propose de les racheter et lancera prochainement une campagne de communication incitatrice. « Les produits neufs et en bon état sont revendus sur notre site dédié, contre un bon d’achat valable un an, d’une valeur importante, à utiliser sur notre e-shop ou dans nos boutiques en propre, détaille Béatrice Brandt. Nous travaillons à trouver le modèle économique permettant d’intégrer nos revendeurs à cette démarche.» Une façon de lever les freins au réachat d’articles neufs, de faire revivre d’anciennes collections et de rendre plus accessibles en termes de prix des produits signés Le Jacquard Français, l’entreprise ne reprenant que les nappes, chemins de table et petits carrés de sa marque.
« Il est trop tôt pour dresser le bilan de cette initiative : peu de clients ont utilisé leur bon d’achat, mais
le site de seconde main fonctionne bien », poursuit Béatrice Brandt.
La mise en place d’une offre de seconde main fait aussi partie des sujets
à l’étude au sein du groupe Vanderschooten. Chez Garnier Thiebaut,
les équipes travaillent pour leur part à un projet de reprise du linge de
maison : « Nous savons qu’après cinq années d’utilisation en moyenne,
les consommateurs ne se servent plus de leur linge, commente Margaux
Parmentier (Garnier-Thiebaut). L’objectif de ce projet est de valoriser les
textiles usagés tout en contribuant à la réduction des déchets et à la
promotion d’une approche plus durable de la consommation. »
UPCYCLING ET RENTABILITÉ, UNE ÉQUATION À RÉSOUDRE
« Même enduit, donc sans relargage de microparticules, le polyester ne correspond pas à notre éthique, nous sommes donc satisfaits d’avoir trouvé un partenaire capable de fournir un fil 100 % coton recyclé », se réjouit Béatrice Brandt. Et de reconnaître : « Certes, le tissu recyclé n’est pas aussi noble qu’un coton peigné mais nous continuerons à développer cette offre pour certains produits tels que les torchons. Cela ne signifie pas pour autant que nous pourrons la vendre moins chère : à date, recycler du fil coûte plus cher que d’en acheter neuf. Et force est de constater que pour notre clientèle historique, le fil recyclé n’est pas un convertisseur d’achat en soi. Le design prime toujours, et les notions telles que le bio ou la seconde main parlent davantage au consommateur en termes d’éthique. Tant que cela n’est pas gagnant-gagnant, il reste difficile de convaincre le client Pour autant, nous testons en nous disant que nous serons prêts le jour où cela émergera. » La feuille de route de la Commission européenne publiée en mars 2022 propose précisément que d’ici à 2030, les produits textiles mis sur le marché soient en grande partie composés de fibres recyclées. « Ce n’est aujourd’hui pas une obligation, précise Sophie Frachon (UIT), mais l’intégration de matières recyclées fera partie des conditions d’amélioration de l’écoconception et la filière textile sera une des premières concernées. Un règlement européen en ce sens est en cours de discussion. Cela étant, l’incorporation de textiles recyclés ouvre déjà droit à des bonus au niveau de Refashion. »
VERS L’AFFICHAGE ENVIRONNEMENTAL ?
Autre chantier destiné à qualifier l’impact des produits textiles, un projet
d’affichage environnemental est en cours. Matières premières, tissage,
traitements, teinture, confection, transports, etc. L’ensemble de la chaîne
de valeurs du textile y sera passée au crible. Or, celle-ci étant très longue
et fragmentée, la méthode de calcul est complexe à définir. Pilotée par
le Commissariat général du développement durable (CGDD), celle-ci
était attendue en septembre 2023, mais pour l’heure « nous sommes
suspendus aux arbitrages politiques », explique Sophie Frachon (UIT). La
feuille de route relative à l’économie circulaire du Gouvernement prévoit
une entrée en vigueur de cet affichage environnemental en 2025 pour
le linge de maison.