Du 5 décembre au 12 janvier prochains, La Romaine Éditions prend ses quartiers à l’Hôtel des Académi
Fin 2021, Rémi Le Druillenec et Quentin Obadia, les fondateurs d’Héroïne, agence de design d’expérience et d’engagement client, ont publié Le Magasin est-il mort ?, un ouvrage qui décrypte ce que sera l’expérience client dans les prochains mois. Explications avec Rémi Le Druillenec
Offrir International : Quelle est la spécificité de l’agence Héroïne ?
Rémi Le Druillenec : De par mon parcours en agence retail design à des fonctions commerciales, j’observais depuis plusieurs années que de plus en plus de retailers étaient à la recherche d’agences non plus capables de designer un magasin, mais de créer des expériences clients destinées à donner aux consommateurs des raisons valables de se déplacer et de visiter leurs magasins.
Quentin Obadia, designer et directeur artistique, et moi avons donc fondé l’agence Héroïne dont l’activité n’est pas dédiée à un secteur d’activité ou un format de projet particulier, mais de proposer une méthode déposée. Baptisée Return on eXperience (ROX), celle-ci se veut capable de programmer des expériences clients quel que soit le secteur d’activité du donneur d’ordre et le format (boutique, département store, pop up, etc.). Autrement dit d’élaborer au cas par cas un outil capable d’aider les équipes à créer des expériences clients pertinentes pour la marque et qui répondent aux besoins de leurs client.
En quoi consiste cette méthode ?
Elle repose sur 5 piliers qui s’orchestrent selon les différentes persona que nous construisons avec la marque en visitant les points de vente, en identifiant quels seront leurs points d’attention. L’immersion consiste à travailler des lieux qui raconteront et feront vivre une histoire forte aux visiteurs en se fondant sur l’ADN et les codes de la marque dans un espace défini.
Cela comprend aussi la façon d’engager le client, parfois avant ou après la visite car cette expérience ne se vit pas uniquement pendant temps de visite en magasin : elle peut démarrer en ligne et se poursuivre après la visite. Il s’agit donc de construire des points de contact avec ces clients qui dépassent l’enceinte du magasin.
L’usage, ou comment faire en sorte que chacun puisse vivre sa propre expérience : il n’y a pas une bonne expérience à créer. Celle-ci est à adapter aux attentes et au profil des clients que l’enseigne veut recruter ou fidéliser. L’expérience de l’usage implique également de construire des parcours clients ajustés et différenciés selon les types de profil auxquels l’enseigne souhaite s’adresser : autonomes ou accompagnés (nécessitant l’intervention d’un conseiller, mettant à disposition tels ou tels outils pour animer la visite, des dispositifs de signalétique pour se repérer et comprendre où telle offre se trouve, etc.).
Le service vise à faire en sorte que chacun vive une bonne expérience.
Si le niveau de service correspond aux attentes du visiteur, celui-ci passera un bon moment dont il se rappellera et, surtout, cela favorisera sa conversion en client. Nous travaillons 2 typologies de services : transactionnels (liés à l’acte achat : caisse déportée, éléments qui permettent de faire de l’offre cadeau) et relationnels. Ces derniers sont toutes les petites attentions pour le client qui peuvent faire la différence.
Ils ne représentent pas une figure imposée pour le parcours d’achat mais permettent de se démarquer de la concurrence.
L’expérience de la preuve : les études mettent en évidence que de nombreuses personnes se rendent en magasin pour être rassurées sur le produit (toucher, sentir, etc.), l’expertise de la marque, le lieu et les conditions de production. C’est particulièrement vrai pour les jeunes générations (Z et Millenials). Même si leur parcours d’achat démarre en ligne, la visite en boutique demeure pour 78 % d’entre eux une étape nécessaire dans le processus global. Le magasin est à utiliser comme lieu de la preuve, le “crash test” produit. C’est le point de contact essentiel pour expliquer aux visiteurs comment la marque fait son métier, quelles sont ses valeurs et la vision du produit qu’elle propose. Le partage, enfin, est incontournable. Nous sommes convaincus que le magasin doit être pensé comme un media. Il permet de créer de la notoriété localement, de fédérer la communauté de clients à l’échelle du magasin et de favoriser les rencontres. Il génère aussi l’envie de partager sa visite : ce que le client y vit ou le décor le marque tellement qu’il a envie de s’y mettre en scène et de le partager sur les réseaux sociaux. Le partage englobe aussi le bouche à oreille : il convient de donner envie aux visiteurs de raconter à leur entourage ce qu’ils ont vécu, en quoi cela était de bonne qualité, d’expliquer en quoi ce magasin diffère des autres, etc. Réfléchir à l’expérience du partage permet au point de vente de rayonner localement et de recruter dans la communauté des personnes venues pour une première fois visiter le magasin.
En matière d’expériences, quels sont les principaux trends dans les attentes des clients en 2022 ?
La crise sanitaire a accéléré la digitalisation de la société. La plupart des clients étaient déjà très connectés, et l’exercice du QR code via le pass sanitaire a permis, y compris à des âges plus avancés, de trouver ce biais-là facile (pour lire le menu du restaurant, etc.). L’hybridation des parcours clients s’est accélérée via l’épidémie de covid-19 : le consommateur attend désormais des passerelles vers le digital lorsqu’il est en magasin, soit pour accéder à un contenu plus précis sur le produit, soit éventuellement basculer sur le site e-commerce s’il n’a pas envie d’acheter immédiatement, pour garder le produit en mémoire ou de le mettre dans le panier.
Autre tendance forte, l’attente de la preuve en boutique que la marque aujourd’hui exerce son métier en cohérence avec les valeurs du client. Trouver une enseigne qui a les mêmes valeurs que lui est un vrai point d’attention. Au-delà du produit, les consommateurs veulent connaître les matières utilisées, leur provenance, le lieu et les conditions de fabrication. 50 % des consommateurs de la génération Z ont déjà délaissé une marque en raison d’un manque d’éthique. Au fil du temps, cette génération sera de plus en plus représentée parmi les consommateurs à fort pouvoir d’achat : la preuve de la transition (écologique, sociale, inclusive) devient donc incontournable. Le client est aujourd’hui informé sur l’offre globale, la valeur du produit et il se révèle extrêmement exigeant. Des plateformes telles qu’Amazon proposent en effet une offre pléthorique à des prix défiant toute concurrence et livrable en 24 heures. Il s’attend donc à une expérience du service extrêmement poussée en magasin. Ce qui fait revenir les clients de l’e-commerce, c’est le manque de service. Ils peuventt avoir du “pas cher et rapide” en ligne mais derrière, le service client et l’accompagnement sont inexistants. Une partie de la population a fait cette expérience et est prête à payer plus cher en se rendant son magasin de proximité, en contrepartie d’un service sur mesure. La dimension relationnelle, humaine, est un point d’attente fort dans la façon d’accueillir, d’accompagner et de remercier les clients pour leur fidélité.
Quelles sont selon vous les clefs de succès du parcours d’achat client en 2022 ?
La première d’entre elles consiste à générer l’envie : nous sommes aujourd’hui tous extrêmement sollicités (par le digital, les informations, l’ensemble des messages que nous recevons, etc.). Nous avons besoin que notre attention soit séduite ou s’arrête sur un message fort. Le magasin doit construire des histoires, renouvelées dans le temps, pour donner envie de s’aventurer dans le magasin y compris si le client le connait, lui signalant qu’il s’y passe quelque chose de nouveau. De plus, le consommateur a besoin que le commerçant lui fasse comprendre le bénéfice du produit/service face à l’hyper choix qui s’offre à lui, lui procure des clefs de lecture simples, des repères lui permettant d’identifier à quels critères correspondent quelle offre. Par exemple, proposer une découverte en différentes étapes : la signalétique pour comprendre les univers, ou à l’échelle du produit – ce que font très bien les libraires – “notre coup de cœur de la semaine”… Autant de clins d’œil qui dispensent des conseils tout au long du parcours ! Le client décide de les suivre ou non, mais ils lui permettent de ne pas se sentir seul face à son choix.
LES 5 TENDANCES À SUIVRE EN 2022
Rémi Le Druillenec & Quentin Obadia, co-fondateurs de l’agence Héroïne, ont identifié 5 piliers de l’expérience client en point de vente dans les prochains mois.
> Le localised retail : les clients sont de plus en plus attentifs au “consommer local”. Les marques doivent dans la mesure du possible sourcer localement et intégrer des codes locaux dans leur concept, notamment en soutenant les produits et les entreprises de proximité, mais aussi en s’inspirant du territoire concerné pour créer le design. De plus, il convient de définir l’assortiment produits et de proposer des services selon la localité, en intégrant la communauté et en capitalisant sur la data, clef de voûte d’une expérience hyper locale.
> L’augmented retail, ou retail augmenté, sera à privilégier en 2022. Dans un premier temps, cela implique de créer un circuit qui rende le consommateur autonome via une expérience pensée offline, afin de faciliter son parcours. Ensuite, de permettre au virtuel de devenir le réel, de sorte à améliorer l’expérience client globale. Enfin, il s’agira de renforcer la relation humaine entre les vendeurs et les clients, grâce à la technologie qui augmentera les capacités de conseil de ce dernier.
> Le joyful retail : les magasins doivent aujourd’hui offrir de nouvelles interactions à leurs clients, en les amenant à converser avec l’univers de la marque, plus qu’avec ses produits, et en leur faisant vivre l’expérience avant l’achat. Par ailleurs, différentes techniques peuvent être utilisées afin de permettre aux consommateurs d’apprendre tout en s’amusant, notamment grâce à la gamification. Les magasins peuvent enfin adopter un design régressif, en se réappropriant des codes enfantins du terrain de jeux, dans le but d’offrir une évasion à leurs clients.
> Le sacralized retail consiste à créer une destination à travers le point de vente, notamment grâce à un nouvel espace attractif, au milieu de nulle part par exemple, ou à travers des installations purement expérientielles. L’enjeu est également de faire du produit ou de la marque une icône, en créant un rituel dédié par exemple, ou en faisant du produit une œuvre d’art. Enfin, le retour aux racines de la marque est une caractéristique essentielle de cette tendance.
> Le conscious retail : conscients des réalités écologiques, les consommateurs aspirent à des marques plus responsables. Les enseignes de distribution doivent donc désormais être parfaitement au fait de leur impact carbone et s’engager à respecter davantage la planète, notamment en utilisant des matériaux 100 % naturels. Dire que l’on fait bien n’est plus suffisant, il importe désormais de démontrer véritablement l’implication de la marque. Il est en outre fondamental pour elles de considérer tout autant l’humain, notamment à travers l’inclusivité, et en facilitant l’usage et l’occupation de l’espace.
Il est en outre indispensable d’aider le client à s’approprier le produit lui proposant d’en faire l’expérience (qualité, robustesse, etc.), pourquoi pas dans le cadre d’ateliers ? En résumé, donner la possibilité au client de vérifier par lui-même les critères importants dans son acte d’achat… Cela lève énormément de freins et favorise la conversion. Il y a un principe dans la mode : quand le vendeur arrive à faire essayer la pièce au client, cela porte à 80 % les chances que celle-ci soit achetée. Je pense que ce manifeste est valable dans de nombreux secteurs d’activité qui l’ont peut-être sous-estimé.
Enfin, le partage est essentiel : de nombreuses décisions d’achat ont besoin d’être validées par l’entourage : le client prend une photo pour l’envoyer par WhatsApp ou message à quelqu’un pour avoir son avis. Il importe de faciliter ce partage avec des mises en scène, des QR codes, des photos haute définition. Laisser les clients se débrouiller seuls augmente les chances que le contenu produit soit de mauvaise qualité, donc que la personne consultée ne soit pas enthousiaste. Si le contenus et les visuels sont préparés, avec une bonne lumière, une belle mise en scène et un bon angle, les probabilités que le retour soit positif au moment du partage sont plus fortes.
Quelles opportunités le metaverse ouvrira-t-il au magasin ?
Le metaverse permettra au magasin de se réinventer et de travailler des
éléments complémentaires à ses parcours physiques. Il y a le metaverse tel que nous commençons à le découvrir et il y a celui que nous
connaîtrons dans 5 ou 10 ans, auquel les grands groupes travaillent.
Ce dernier n’aura pas vocation à être un monde parallèle purement
digital mais à se superposer à la réalité et l’enrichir avec des éléments
virtuels. Pour le magasin, cela offrira des possibilités de digitaliser une
partie l’offre pour avoir un assortiment plus court en boutique, avec une
immobilisation stock moins importante et une réduction de la surface de
vente. Le metaverse et les NFT pourront servir à une présentation digitalisée des autres déclinaisons de tailles, de couleurs de matériaux. Des
sujets intéressants émergent : les NFT seront peut-être les prototypes
de demain, permettant des tests en ligne soumis à la consultation de la
communauté qui déterminera le lancement de la production physique,
évitant les stocks invendus/bradés et permettant des modèles business
plus vertueux.
Dans l’immédiat, le metaverse reste une approche gaming, ludique,
extrêmement coûteuse et tout le monde ne peut pas se l’offrir : les
seuls à y aller sont les marques de luxe ou les géants internationaux.
C’est une ruée vers l’or mais tous les acteurs n’ont pas défini comment
l’utiliser concrètement. Je ne suis pas convaincu du bien-fondé d’y
aller sans cause, d’autant que cela doit correspondre à une attente
des clients. Cela peut très bien fonctionner pour une enseigne dont la
base de clients est relativement jeune mais ça n’est pas transposable
à toutes les marques.
Le metaverse peut en outre être intéressant pour vivre une expérience
complémentaire à celle du magasin. Aujourd’hui, il est par exemple
compliqué de faire intervenir un chef étoilé dans l’ensemble d’un réseau de magasins (temps, déplacement). En proposant par exemple un
événement animé par ce chef dans le metaverse, accessible n’importe
où, l’enseigne fournit à ses clients un contenu dont ils n’auraient peutêtre pas bénéficié en point de vente classique. C’est aussi un levier
pour valoriser les clients fidèles au magasin en leur donnant un accès
exclusif à une expérience inédite, etc. Dans le domaine des arts de la
table, gastronomiques et culinaires, il y aura des initiatives intéressantes
à développer