Dossier

Le made in local : d’offre optionnelle à incontournable ?

03 mars 2025
Par : Astrid Briant

Plébiscité, le made in local va au-delà d’une simple tendance. Ancré dans les nouvelles attentes des consommateurs, il s’inscrit dans une dynamique pérenne et pourrait être un levier de préservation du made in France. Son coût parfois élevé demeure pourtant un obstacle, particulièrement dans un contexte de pouvoir d’achat fragilisé par la permacrise. Pour les fabricants engagés dans la préservation des savoir-faire locaux et les détaillants souhaitant intégrer cette offre à leurs gammes, repenser les stratégies de communication devient une priorité.

Installée à Passavant La Rochère depuis 1475, la plus ancienne verrerie de France, La Rochère fait des visites de ses ateliers un axe stratégique pour asseoir sa notoriété.

L’érosion du pouvoir d’achat et les hausses du coût énergétique sont autant de raisons qui poussent les ménages à une forme de restriction et si le made in France n’est pas systématiquement plus cher, il l’est parfois. 

Pour autant, la qualité et les valeurs associées aux productions locales restent attractives et, à prix égal ou presque, un consommateur averti privilégiera le local. 

Convaincue que le made in local devient un véritable levier stratégique pour les points de vente, la marque Le Coq Français met en place une approche centrée sur des PLV régionales. « Toute notre offre est fabriquée localement en Auvergne, que ce soit le couteau ou la PLV, explique la marque. Le produit et son présentoir sont spécifiquement adaptés à chaque région de France, créant ainsi des supports de communication sur le lieu de vente (présentoirs, étagères, etc.) reflétant une identité locale. » Objectif : augmenter la visibilité, l’attractivité et la valeur des produits, et attirer l’attention des consommateurs, souvent sensibles à la provenance locale, et créer une connexion émotionnelle favorisant l’achat.



C’est en tout cas la théorie de Tiphaine Chouillet, fondatrice de La Source Française, un bureau d’études et de sourcing qui vise à promouvoir la fabrication française en facilitant la relocalisation de la production et en renforçant l’engagement éthique des entreprises : « C’est le sens de l’Histoire. La crise écologique est là. Les guerres peuvent resurgir. L’acheminement peut se retrouver contraint du jour au lendemain. Pour des raisons positives comme négatives, nous allons revenir à des productions locales. Et si le chemin pour y parvenir est aujourd’hui encore semé d’embûches, tout devrait se fluidifier à l’avenir. » 

Magali Soucille, présidente de la coutellerie Goyon-Chazeau, en est certaine, le made in local sauvera le made in France : « Tout démarre par des actions locales, entre confrères, pour mieux promouvoir notre activité. De cette force locale naît une visibilité nationale, voire internationale. »

LE TOURISME, UN LEVIER DE PREMIER PLAN

La coutellerie familiale GoyonChazeau réalise l’ensemble de sa production de couteaux et couverts de table, couteaux de cuisine et de poche dans son atelier de La Monnerie-Le-Montel, près de Thiers (Puy-de-Dôme). 

National ou international, le tourisme adossé au désir des locaux de soutenir leur économie de proximité, joue un rôle clé dans la promotion des productions régionales. 

Les voyageurs sont nombreux à rechercher des expériences authentiques et souhaitent découvrir des produits fabriqués dans les régions qu’ils visitent. Une dynamique qui bénéficie au patrimoine culturel, mais aussi au soutien de l’économie locale. 

Encourager cette synergie entre tourisme et production locale renforce le tissu économique dans son ensemble, favorisant ainsi la préservation des savoir-faire traditionnels et l’innovation, comme en témoigne Élodie Stephan, responsable commerciale de Farol : 

« Farol est une entreprise emblématique de La Rochelle. De nombreux touristes font la démarche de venir à l’atelier car ils nous ont vu dans différents offices du tourisme de l’agglomération avec lesquels nous travaillons. Notre ambition est de devenir un incontournable de la destination La Rochelle. »

La société Forge de Laguiole, implantée sur le plateau de l’Aubrac depuis 1987, réalise l’ensemble des étapes de la fabrication du célèbre couteau pliant, de la forge des lames à chaud au sciage des matières premières en passant par l’élaboration des pièces métalliques.

Une vision partagée par la coutellerie Forge de Laguiole, au cœur du plateau de l’Aubrac, qui exploite son ancrage dans une région touristique pour renforcer sa notoriété. « Nous avons décidé depuis plusieurs années d’ouvrir les portes de notre atelier pour que les visiteurs découvrent l’ensemble des étapes de fabrication, soient plongés au cœur de la forge et côtoient de près l’ensemble du personnel. 

Une façon pour nous de partager notre savoir-faire et de montrer comment nous fabriquons les authentiques couteaux de Laguiole à Laguiole », souligne Charlotte Raynal, responsable marketing et communication. 

En Haute-Saône, La Rochère qui célèbre ses 550 ans cette année, fait partie des fleurons industriels de la région Bourgogne-Franche-Comté avec un ancrage de plus de cinq siècles. Chaque année plus de 70 000 visiteurs visitent l’entreprise, ses ateliers et sa boutique physique, et en profitent pour découvrir le département par la même occasion. 

Fondée en 2022, Table & Nature fabrique sa vaisselle en PLA, un polymère plastique exempt de pétrole, issu de la chimie verte, composé d’amidon issu de végétaux, renforcé grâce à l’ajout de minéraux, certifié apte au contact alimentaire, dans les Hauts-de-France plus précisément, avec une plateforme de distribution à moins de 10 km de l’usine. « Une logique concentrée qui limite le transport et notre empreinte carbone, souligne la marque. Fabriquer en France est aussi un choix assumé, pour respecter des conditions règlementaires et sociales et contribuer en tant qu’entrepreneur à l’emploi local. » 
La coutellerie rochelaise Farol a lancé sa première gamme de couteaux de cuisine à l’automne 2024 en déclinant 3 lames sur les 2 manches emblématiques (Le Cachalot et L’Encan) de la manufacture. Ici, l’Encan, du nom de l’ancienne criée de La Rochelle, au manche en Zebrano, avec un rivet de charpente marine maintenant la lame en finition brossée. Prix public : 145 € l’Encan de chef 33 cm. 

« Le tourisme local est extrêmement important pour nous. Nous travaillons avec les offices de tourisme et sommes en étroite collaboration avec le Département de la Haute-Saône pour promouvoir notre site et nos produits. Ces derniers sont connus dans le monde entier, mais nous avons encore un déficit de notoriété de marque au niveau local. Tout le monde connaît le verre Abeille, mais tout le monde ne connaît pas La Rochère. Cette visibilité et cette notoriété de marque doivent passer par le local, le national puis l’international », observe Charlotte Legendre, responsable marketing digital et communication. 

Ce lien entre tourisme et production locale permet également aux entreprises d’enrichir leur storytelling et de fidéliser leurs visiteurs. Ces initiatives mettent en évidence une synergie entre le patrimoine régional, l’artisanat et l’attractivité économique.

L’IMPORTANCE DES RELATIONS DE PROXIMITÉ

Outre le tourisme, le made in local répond à une attente sociétale : soutenir l’économie locale et préserver les métiers traditionnels, reflet d’une valeur qui serait de plus en plus partagée par des Français qui prennent conscience de l’importance de préserver les savoir-faire locaux et de contribuer à la vitalité économique de leurs régions. « Cette sensibilité s’est accrue au moment de la pandémie de covid-19, assure Caroline Lux, créatrice de la marque de linge de maison Avenue d’Alsace. 

Le made in local charrie avec lui la notion de création d’emplois. Pour ma part, je fais confectionner certains produits dans un centre de réinsertion sociale à Colmar : c’est une particularité à laquelle les consommateurs sont sensibles, plus qu’au caractère écologique. » 

Cyprien Meynard, PDG de Billot Chabret, insiste sur l’importance des relations de proximité dans la chaîne d’approvisionnement : « Notre ancrage dans la Loire nous permet de travailler avec des partenaires-fournisseurs proches de chez nous, donc de mieux maîtriser notre chaîne de valeur. » Romain Piraux, CEO de la Manufacture de Charolles 1844, souligne d’ailleurs à quel point les habitants peuvent être de précieux soutiens. « J’ai repris la manufacture fin 2023 et j’ai reçu beaucoup de soutien de la part des habitants. Il existe une véritable fierté des locaux quant à leur industrie et leur manufacture. Ils sont attachés à la continuité de l’activité. L’engouement pour nos deux braderies annuelles est d’ailleurs incroyable », témoigne-t-il. 

Le 15 janvier dernier, la collection en porcelaine de Limoges Tahiti d’Ogre La Fabrique a fait son entrée dans les points de vente Bouchara. Prix public : 20,99 € l’assiette ø 25 cm. 

L’authenticité des produits locaux joue un rôle dans cette dynamique. Les consommateurs recherchent des objets porteurs d’histoire, capables de générer une connexion émotionnelle, ainsi que le souligne Catherine Cousin, directrice générale de Filt 1860 : « La valorisation de l’expertise des couturiers-ères en inscrivant leur nom sur chaque étiquette de nos filets à provisions est une démarche forte et inspirante. Cette initiative humanise chaque création, la transforme en une pièce chargée de sens, et crée un lien authentique dans la relation avec le client. C’est aussi un gage de transparence et de qualité. » 

Serviette de table Alsace givrée (36 x 36 cm, 100 % coton), conçue à Colmar et fabriquée en France. Avenue d’Alsace. Prix public : 12 €. 

Un sentiment partagé par Caroline Lux : « Je coupe le tissu et je contrôle la qualité, avant de l’envoyer avec rubans, étiquettes et fiches de montage aux confectionneurs français. Il s’agit d’un produit 100 % français ! » 

Fondatrice de la marque de porcelaine Ogre la fabrique, Titaïna Bodin voit dans l’acte d’achat local d’autres raisons : « Les clients veulent acheter des produits qui ne viennent pas de l’autre bout de la Terre et dont l’impact carbone est neutre ou bas. 

Ils veulent savoir avec quels matériaux leurs assiettes ont été produites et être certains qu’il n’y a pas de produits toxiques. »

 
Basée en Normandie depuis le XIXe siècle, Filt 1860 met à l’honneur ses couturiers.ères et ses racines régionales sur l’étiquette de l’emblématique filet à provisions remis au goût du jour par Catherine et Jean-Philippe Cousin, dirigeants de l’entreprise depuis les années 2000.

Pour permettre au plus grand nombre de s’offrir de la porcelaine de Limoges, depuis le 15 janvier dernier, Ogre la fabrique distribue sa collection Tahiti dans tous les points de vente Bouchara de France. « Cette collaboration est symbolique car Bouchara réintroduit une offre made in France dans ses rayons dédiés à l’art de la table. L’enseigne a opté pour le blanc. L’inflation énergétique nous a conduits à augmenter nos prix, mais pour le blanc nous restons relativement accessibles, avec des prix à l’unité compris entre 14,99 € et 20,99 € selon les dimensions : il est possible d’acheter six assiettes blanches pour moins de 100 €. »

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PAUL BOCUSE X HEXAGONE

Dévoilée en janvier à Maison&Objet, la collaboration entre Bocuse et Hexagone a pour berceau la ville de Lyon, capitale de la gastronomie. Ces deux acteurs locaux, réunis autour des valeurs de savoir-faire, précision artisanale, et transmission, ont conçu trois braseros portant le nom de la référence incontournable de la gastronomie française, Paul Bocuse, et destinés à réinventer le plaisir de la cuisine d’extérieur. 

Chaque modèle porte un nom évocateur, reliant la gastronomie et la nature, et se pare de couleurs exclusives : le vert de Silva évoque la nature, l’ocre d’Aureus fait écho aux nuances de la gastronomie et aux codes du luxe, tandis que la teinte terracota de Terra renvoie à la richesse du terroir. 

Ces braseros-planchas sont aussi les ambassadeurs du savoir-faire d’Hexagone : ils sont en effet dotés d’une cuve à double paroi et revêtus d’une peinture pigmentée capable de résister à des températures élevées, offrant un design qui conjugue élégance et innovation. Produits garantis à vie certifiés Origine France Garantie. 

Prix public : 2 450 € pièce.

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DIVERSIFIER L’OFFRE ET VALORISER LE STORYTELLING

L’histoire de Cristel démarre en 1826 avec la création par les frères Japy, pionniers de la casserole emboutie à Fresches-le-Châtel (Doubs). Aujourd’hui devenue une référence mondiale des articles culinaires haut de gamme en inox, garantis à vie et distribués dans une cinquantaine de pays, Cristel est certifiée Origine France Garantie, avec plus de 90 % de production intégrée.

Pour intégrer le made in local à leur offre, les commerçants peuvent miser sur le storytelling et la différenciation. Objectif : contextualiser l’histoire et les valeurs derrière chaque produit, en répondant aux attentes des consommateurs appréciant la transparence sur les techniques de fabrication et l’origine des matériaux utilisés. Cette valorisation contribue à la préservation des métiers d’art et des techniques ancestrales qui s’adaptent aux exigences modernes

« À la boutique de la Manufacture de Couleuvre, nous accueillons une clientèle principalement composée d’adultes âgés de 40 à 65 ans, voire davantage. Nombreux sont ceux à avoir grandi avec des services Couleuvre chez leurs grands-parents ou leurs parents, ce qui crée un attachement émotionnel fort à notre héritage. 

Ils sont conscients de l’importance de soutenir un savoir-faire artisanal ancré dans la région depuis des siècles. En choisissant nos produits, ils ne réalisent pas simplement un achat, ils participent à la pérennité d’une tradition d’excellence dans les arts de la table », explique Sophie Salager, PDG de la Manufacture de Couleuvre.

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ARC : 200 ANS D’ART DE LA TABLE

En 2025, Arc célèbre son 200e anniversaire, et ainsi un savoir-faire verrier, transmis de génération en génération. Dès les années 1930, la Verrerie Cristallerie d’Arques innove avec le verre trempé résistant aux chocs et la production automatisée du cristal. Avec ses marques emblématiques (Luminarc, Arcoroc, Cristal d’Arques Paris et Chef&Sommelier) l’entreprise adresse aussi bien le marché des particuliers que celui des professionnels de la restauration. 

Basé dans à Arques (Pas-deCalais), Arc met l’accent sur la réduction de son empreinte carbone et l’adoption d’un modèle circulaire, misant notamment sur la limitation des emballages, et la production de solutions plus durables. Au cœur de cette stratégie : le verre, matériau réutilisable à l’infini, l’entreprise poursuivant ainsi son engagement à proposer des solutions alternatives au plastique jetable. Arc partage cette année son aventure industrielle via une identité visuelle rénovée, une vidéo célébrant son bicentenaire et une série d’initiatives sur les réseaux sociaux.

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Un coq au style graphique aux couleurs du drapeau français dans la collection Coco-Rico, Le Jacquard Français x Élysée Présidence de la République. 100 % coton, fils peignés (longues fibres), tissage chaîne et trame couleurs, fabriqué dans les Vosges. 

Fondée en 1789, cette dernière redouble de créativité pour se renouveler. Les œuvres qui sortent aujourd’hui de ses fours plaisent autant aux locaux désireux de compléter les collections familiales qu’aux étrangers admiratifs face à ce savoir-faire vieux de plus de deux siècles. Forte de sa présence chez The Invisible Collection, plateforme de renom du design haut de gamme, la Manufacture de Couleuvre ambitionne d’étendre son réseau de distribution cette année. 

Si le storytelling est un outil pertinent, il a pour corollaire la sincérité. Thibaud Chiale, directeur général de Bérard France, met en garde contre le local washing : 

La société Garnier Thiebaut, fondée en 1833, a toujours conservé ses usines à Gérardmer (Vosges). « Nous avons à cœur de maintenir notre savoir-faire et notre fabrication de produits jacquard, malgré les crises, les contextes économiques et politiques, les tensions internationales, les hausses des prix des matières premières..., souligne le fabricant. Nous repensons sans cesse notre organisation, nos méthodes et nos outils pour rester dans la course, maintenir cette production en France et préserver notre identité et nos valeurs. » Garnier Thiebaut a récemment réalisé un important investissement pour son atelier tissage avec l’achat de 2 métiers à tisser afin d’étoffer son offre de linge de lit fabriquée en France et de répondre aux attentes de ses marchés. L’entreprise a en outre ouvert 4 boutiques en France en 2024 (Lyon, Vannes, Dijon, Nice) dans un souci de proximité avec ses clients. Elle ouvre toute l’année ses portes aux particuliers, aux professionnels et aux étudiants afin de faire visiter son usine et découvrir son savoir-faire et sensibiliser au made in Vosges. Ici, la nappe Mille Lieues aube (collection printemps-été 2025). Prix public à partir de 92 €.

« Il est primordial d’être rigoureusement honnête, sans déformer les informations sur les origines et les lieux de fabrication. Il est crucial de distinguer la production réalisée en France de celle effectuée à l’étranger. Malheureusement, l’utilisation d’arguments marketing sans véritable engagement a pu ternir l’image du made in France ou du made in local. Notre approche repose sur une transparence totale vis-à-vis du consommateur concernant l’origine de nos produits. »

RELATION PRIVILÉGIÉE AVEC LES DÉTAILLANTS

D’autres consommateurs sont plus sensibles aux aspects éthiques et environnementaux. Chez Cristel, la notion de durabilité est indissociable de la production locale : « Nos produits sont garantis à vie depuis le début de notre aventure. Bernadette et Paul Dodane avaient pour postulat de départ de fabriquer des produits d’une qualité telle qu’ils dureraient et ne seraient jamais jetés. C’est un des codes du luxe. On ne jette pas un sac Hermès, on le fait réparer. De même pour un produit Cristel. Cette valeur distinctive trouve un écho de plus en plus grand chez les consommateurs », souligne Damien Dodane, directeur général délégué de Cristel. 

A l’occasion du 150e anniversaire de l’impressionnisme, Eurêka (Agence attractivité de l’Eure) et Pantone se sont associés pour créer le nuancier Première Impression, une invitation à parcourir ce territoire normand à travers 7 couleurs : Ombre Verte Pays de Lyons, Nénuphar Giverny, Reflet d’Eau Rives de l’Eure, Bleu de Gris Pierre de Vernon, Tarte Tatin Pays d’Auge, Crépuscule Vallée de la Seine et Paille Blés du Neubourg.

Forge de Laguiole partage ce combat contre l’obsolescence. « Un couteau Forge de Laguiole est un compagnon pour la vie qui se transmet de génération en génération. Nous assurons l’entretien et la remise en état de nos articles, permettant une longévité maximale. Quelle fierté de recevoir des couteaux qui ont parfois plus de 30 ans chargés sentimentalement de nombreux souvenirs et de les rendre à leurs propriétaires pour qu’ils l’utilisent durant de longues années ! Voilà notre engagement », martèle Charlotte Raynal. 

Selon Tiphaine Chouillet, les générations ne perçoivent pas ces productions locales de la même manière : « J’ai lu une étude indiquant que les plus de 50 ans associent ces achats à des considérations sociétales, comme la création d’emplois, tandis que les jeunes générations y voient un engagement écologique, notamment par la réduction de l’impact carbone. J’imagine que certains achètent aussi sans y réfléchir, simplement parce qu’on leur a répété que c’était la bonne chose à faire. » 

Fondée en 1827, le magasin marseillais Maison Empereur met chaque mois à l’honneur une manufacture. Ici, la Ciergerie des Prémontrés, elle-même créée en 1858 et basée à Tarascon.

En choisissant de proposer une offre de produits made in local, les détaillants expriment aussi un engagement, gagnant à double titre. Elle rehausse l’image de marque du magasin tout en tissant des liens privilégiés avec les fabricants. 

Ceux implantés en France, géographiquement proches, offrent souvent un accompagnement plus personnalisé. « Travailler avec des fabricants locaux, c’est faire le choix d’une relation privilégiée. Les fabricants vous rendent visite, s’intéressent à votre activité et à vous. Une relation de travail différente s’instaure et c’est d’autant plus appréciable dans les coups durs. Certains détaillants font le choix du made in local pour cela », affirme Tiphaine Chouillet. 

Eno perpétue un savoir-faire depuis plus d’un siècle, et maîtrise l’ensemble de sa chaîne de production, de la conception à la fabrication, dans ses ateliers français à Niort (Deux-Sèvres). Experte dans l’art de l’émaillage, Eno est reconnu Entreprise du patrimoine vivant. « Conscients de l’impact de notre activité sur l’environnement, nous privilégions les circuits courts et travaillons en étroite collaboration avec des partenaires locaux, explique-t-on chez Eno. Cette démarche nous permet de réduire notre empreinte carbone et de contribuer au maintien de l’emploi dans notre région. Nos produits, labellisés Longtime, sont conçus pour durer et sont réparables, offrant ainsi la possibilité de les transmettre aux générations futures. » Des éléments intégralement repris sur les supports de communication de la marque (emballages, PLV, catalogues, flyers, etc.) dans un souci de transparence vis-à-vis du consommateur

Mais ces produits, souvent plus onéreux en raison des volumes de production limités et du coût de la main-d’œuvre, ne se vendent pas d’eux-mêmes. 

Savoir d’ici, fondé par Candice Genton, se concentre sur l’accompagnement des entreprises dans la valorisation de leur savoir-faire français, proposant des solutions pour aider les artisans et les industriels à communiquer sur leurs compétences uniques comme l’organisation de visites d’entreprises B2B ou à destination du grand public pour engager les distributeurs et les consommateurs et valoriser les collaborateurs. 

Candice Genton les accompagne également dans l’obtention de labels comme Origine France Garantie ou le développement de stratégies de communication adaptées au made in France : 


« Nous valorisons cette fabrication française via la mise en lumière des coulisses de l’entreprise car il existe de nombreux savoir-faire qui gagneraient à être connus. Nous accompagnons ces entreprises à la mise en place d’une communication qui leur ressemble et qui donne à voir les gestes de ces métiers industriels et artisanaux. »

ESPACE DÉDIÉ POUR UNE MEILLEUR MISE EN SCÈNE

Pour les détaillants et les distributeurs, toute la problématique réside dans l’identification du bon message, qu’il s’agisse d’éléments du passé, du présent ou du futur pour vraiment transmettre l’ADN. « Prenons l’exemple d’une planche à découper. Le détaillant doit être en mesure d’argumenter sur le “pourquoi” il est nécessaire d’investir davantage dans une planche fabriquée dans la vallée de la Loire que dans un modèle importé : démonstration de la différence qualitative, discours sur l’origine française du bois, la fabrication française qui génère de l’emploi, etc. Savoir d’ici aide les fabricants à transmettre cette histoire pour que les détaillants puissent à leur tour valoriser les produits, via la création de support, des shooting photos, des tournages, etc. », explique Candice Genton. 

Implantée en Saône-et-Loire, la Manufacture de Charolles célèbre ses origines bourguignonnes avec une nouvelle teinte, bourgogne. Inspirée par les vignobles et le patrimoine de la région, cette couleur habille le Glouglou, objet emblématique de la marque, ainsi qu’une sélection de créations (bougies, coupe ondulation, table Tibone). Prix public : 95 € le Glouglou.

Sophie Salager souligne l’importance du storytelling qui, à la Manufacture de Couleuvre, débute avec son histoire remontant à 1789. 

Elle met en avant le savoir-faire local, du relief et des formes au teinté masse, avec une chaîne de valeur entièrement locale, à l’exception des matières premières. 

« Pour transmettre ces informations, je fournis aux détaillants des supports souvent visuels incluant des photos de la manufacture, de ses 300 000 moules et ses modèles historiques, et des gestes des artisans. La clientèle locale, dans une logique de préservation, est intéressée par ces savoir-faire. Pour les clients venus d’ailleurs en France et de l’international, le made in France prévaut. C’est d’ailleurs le premier argument que j’oppose lors de négociations B2B avec des maisons de luxe », fait valoir Sophie Salager. 

Forge de Laguiole s’engage également dans la promotion de son savoir-faire artisanal auprès des détaillants. « Nous aimons leur mettre à disposition un “kit déco”, un colis regroupant toutes les pièces brutes nécessaires à la fabrication du couteau (lame forgée, mitres, bois, corne entière, ressort abeille, etc.) : une multitude d’objets pour montrer au client le travail nécessaire et les multiples étapes pour donner naissance aux couteaux Forge de Laguiole », témoigne Charlotte Raynal. 

Même stratégie chez Farol : « Nous fournissons des présentoirs mettant en avant notre label Entreprise du Patrimoine Vivant et La Rochelle à la couleur bleue de notre charte graphique. Par ailleurs, chaque couteau dispose d’une fiche de présentation de son histoire ainsi que de mise en avant de sa fabrication à La Rochelle », explique Elodie Stephan. 

Damien Dodane (Cristel) mise sur les labels, mais aussi sur les visites d’usines : « Le label EPV qui nous aide à communiquer sur la spécificité de notre “savoir-faire unique, exceptionnel et indiscutable”. Nos labels ne sont pas encore connus à l’international. A nous de les promouvoir et nous avons à cœur de partager ces valeurs avec nos partenaires étrangers. Les détaillants font partie intégrante du succès des produits made in France et made in local, ce sont eux qui expliquent, qui communiquent les avantages et les qualités de nos produits par rapport à la concurrence. Nous leur apportons toute la communication possible, mais faire visiter notre usine à nos revendeurs, c’est l’étape importante qui permet de faire comprendre et partager les étapes de fabrication des produits qu’ils revendent. » 

Menacé par le projet de loi de finances pour 2025 qui ne prévoit plus son financement, la disparition du label serait problématique pour les acteurs du made in local nombreux à s’appuyer dessus : « Bien plus qu’une distinction, c’est un outil stratégique qui valorise notre savoir-faire, renforce notre image de marque et permet de conquérir de nouveaux marchés en célébrant notre héritage local et artisanal », souligne Catherine Cousin (Filt 1860). Pour maximiser l’impact de leur offre fabriquée localement, il est intéressant pour les commerçants de repenser la mise en scène en magasin a fortiori si celui-ci commercialise des produits de différentes gammes, fabriqués dans diverses parties du globe. La création d’espaces dédiés permet d’éviter la concurrence directe avec des produits moins coûteux. « Cette association ne fonctionne pas. Et pour cause, même en développant un argumentaire de vente solide, le produit made in local semblera encore plus cher », rappelle Caroline Lux (Avenue d’Alsace). 

Pour renforcer la pertinence de leur argumentaire, certaines entreprises, comme Goyon-Chazeau, misent sur des partenariats stratégiques. Cette entreprise familiale, doublement labellisée Entreprise du Patrimoine Vivant pour ses couteaux monocoques et entièrement forgés, a conclu un partenariat de distribution avec Emile&Co. « Nous avons reçu l’ensemble de la force commerciale durant une journée, explique Magali Soucille. Ses représentants ont visité l’atelier, posé des questions, touché les matières. Les détaillants qui, aujourd’hui, s’en tirent leur épingle du jeu sont ceux qui savent vendre de beaux produits et démontrer la différence entre deux produits. Ils le comprennent de plus en plus. » 

L’institution marseillaise, Maison Empereur l’a bien compris elle aussi. Elle a développé le concept de manufacture invitée, donnant à voir, sur une période d’un mois, le travail d’une manufacture locale. En décembre elle accueillait la Ciergerie des Prémontrés qui œuvre à Tarascon (Bouches-du-Rhône). « Ce format nous permet de valoriser ces entreprises historiques et de rappeler ce que nous défendons le mieux : la qualité évidente derrière ces objets. Il permet également de créer un rendez-vous avec nos clients autour de ces belles histoires, à découvrir chaque mois en magasin, en ligne et dans la newsletter dédiée », explique Laurence Renaux Empereur, actuelle dirigeante et 7e génération de la famille Empereur. 

L’avenir du Made in local s’annonce encourageant, soutenu par une différenciation de plus en plus marquée entre les produits locaux et les offres purement marketing, selon La Source Française. Charlotte Raynal en est convaincue, le made in France conserve un rôle clé dans un contexte de concurrence internationale accrue. Malgré des défis liés à la compétitivité, le secteur peut connaître un développement durable, porté par l’évolution du marché et l’engagement des fabricants français.


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