Dossier

Distribution : De l'art d'investir le marché Français

16 janvier 2019

Territoire de la gastronomie par excellence, la France attire les marques d’arts de la table. Néanmoins, s’implanter dans un pays où les circuits sont nombreux et les positionnements essentiels n’est pas toujours aisé. La distribution française a ses subtilités… Aperçu.

Un des principaux éléments d’un partenariat avec un distributeur, c’est qu’il faut que la marque qui souhaite faire appel à ses services sache que ceuxci ont un coût, avec des compétences et une valeur ajoutée à rémunérer, explique d’entrée de jeu Anne-Céline Cosson, responsable achats de Chevalier Diffusion. Lorsque des marques n’ont pas pris cela en compte, les prix semblent exorbitants par rapport à ceux en pratique dans leurs pays. » Les marques déjà internationales intègrent cette démarche à leur stratégie, mais c’est moins évident pour les plus jeunes, ou les inventeurs, qui ont peu de produits, d’expérience et/ou de moyens. Le choix de distribution demeure pourtant stratégique : « Les marques peuvent préférer recourir à leurs propres équipes, un agent, ou faire appel à un distributeur, notamment pour la logistique et l’introduction sur des canaux de distribution spécifiques », relève Thomina Pelé, directrice générale de Chevalier Diffusion. Il existe aujourd’hui de nombreuses possibilités, pour se lancer seul, notamment via le web, mais le distributeur peut constituer un bon tremplin avec un portefeuille plus puissant, une capacité à accompagner et transmettre, avec des accès favorisés. « Les centrales sont difficiles à approcher en France, souligne Yvone Branco, responsable marketing

« Lorsque nous travaillons avec des marques étrangères, nous ne servons pas qu’à leur ouvrir les portes. Nous mesurons à quelle vitesse sortir les produits, pour ne pas noyer l’offre » 

de Karis (qui travaille avec Carrefour, Auchan, etc.). Nous arrivons avec nos rendez-vous habituels avec les détaillants, les magasins spécialisés, la grande distribution ou la VPC. » Et d’ajouter que les détaillants, en France, sont habitués aux visites des commerciaux : « Il est compliqué pour une marque d’arriver seule sur le marché, alors que les distributeurs ont des équipes pour atteindre tous ces petits détaillants. »

La bonne lecture du marché 

Selon la nationalité, les marques ont une plus ou moins bonne lecture du marché. « En Angleterre, la distinction entre grand magasin et détaillant n’existe pas. Il est parfois compliqué d’expliquer que vous ne ciblez que des détaillants, observe Thomina Pelé. Un sujet qui doit être abordé à chaque nouvelle négociation. Laurent Berp, directeur général d’Emile&Co, le confirme : « A la différence du marché américain, par exemple, où 4 ou 5 acteurs peuvent, à eux seuls, réaliser une bonne partie du chiffre d’affaires d’une marque, le marché français est très décentralisé. Vous pouvez être bon chez Zôdio et mauvais chez Alice Délice, ou vice-versa. Il faut prendre des positions chaîne par chaîne, magasin par magasin. » C’est d’autant plus vrai pour des marques étrangères : « Pour une marque de cuisson, arriver en France sur le marché de Tefal, Cristel ou Mauviel, exige un travail de fond qui peut prendre du temps », poursuit-il. Et de remarquer que les marques étrangères basées à proximité de la France peuvent réfléchir à investir le marché français en direct, ce qui est moins le cas des marques plus éloignées. Elles ont aussi la possibilité de s’essayer à

« Le marché et le métier de distributeur sont toujours en mutation. Il faudra rester flexible face aux évolutions et aux nouveaux besoins à venir »

plusieurs options. « Historiquement, nous distribuions un nombre assez important de marques allemandes, mais les Allemands ont souvent fait le choix de reprendre leur distribution en direct ces dernières années, observe, à l’instar d’autres de ses concurrents, Laurent Berp. Passé un certain niveau de chiffre d’affaires, la marque qui a un stock en Allemagne préfère parfois commissionner un agent. » Pour résumer, les marques peu connues ont besoin de se faire connaître magasin par magasin, avec l’appui d’un distributeur, qui peut ensuite se faire “court-circuiter” une fois ce travail de fond réalisé. « Nous portons notre stock, c’est ce qui fait l’ADN d’Emile&Co. Notre équipe commerciale n’est constituée que de salariés qui sont exclusifs à nos marques », souligne Laurent Berp. Et construire une marque – la société en compte sept dans son portefeuille actuel – nécessite de l’accompagnement sur le long terme. « C’est plus compliqué avec des agents, qui vendent beaucoup de marques », considère le dirigeant, qui résume le paradoxe du distributeur : s’il ne fait pas bien son travail, il risque de perdre la marque ; s’il le fait trop bien, celle-ci est susceptible de reprendre le marché en direct. Le marché culinaire étant tendu, presque saturé sur de nombreuses catégories de produits, il y a chaque année un jeu de chaises musicales, avec des marques qui changent de distributeur. « Ce n’est pas forcément la meilleure solution, car il faut six mois pour réhabituer le client à voir la même personne », considère Florian Lecourtois, responsable du pôle culinaire d’Ideco Paris.


Sélectionner les bons produits 

La tendance des spécialistes (Zôdio, Alice Délice, etc.) à se lancer dans les marques de distributeurs complexifie encore le marché : « Quand un produit se vend bien, des enseignes veulent le produire à leur marque, observe Florian Lecourtois, pour qui l’essence même du marché repose sur la nouveauté. Ideco Paris a repris la distribution de Gefu début 2018. « Notre souhait premier fut de rester dans le réseau spécialisé : boutiques, Alice Délice, BHV et autres Zôdio ». Le catalogue de la société compte 450 produits, dont 80 % sont des produits d’équipement de la cuisine que tous les consommateurs possèdent, donc très concurrencés. « Nous avons décidé de mettre en avant les 20 % qui restent, qui n’existent pas ailleurs, en créant une gamme innovante, et de la lier à la tendance actuelle du “manger sainement” », confie Florian Lecourtois. Car le travail du distributeur consiste aussi à adapter la proposition au marché. « Pour les marques américaines, qui ont des produits spécifiques, nous sélectionnons ceux qui correspondent à la demande française, note Yvone Branco. Pour la communication, nous respectons l’image et le prix : s’ils sont dans une logique de produits haut de gamme, nous ne les plaçons pas en mass market. » Une marque peut également choisir un distributeur qui diffuse déjà une marque concurrente. C’est par exemple le cas de Karis, spécialisé en arts de la table, avec des marques d’ustensiles de cuisine, de boîtes de conservation (le coréen Lock & Lock), l’univers du verre, les moulins à sel, à poivre, et tout ce qui regroupe la cuisson. « Ce n’est pas un frein pour nous, commente Yvone Branco. Nous distribuons les deux marques américaines Oxo et Chef’n en exclusivité en France… Le distributeur respecte la marque et ne divulgue pas les points de vente ou les prix d’achat. »

« Il faut que la marge soit suffisante et qu’il n’y ait pas trop d’écart avec la distribution en direct »


Établir la relation avec les marques

A l’origine fabricant, H. Beligné & Fils se concentre aujourd’hui à 100 % sur la distribution. « Au début dans la coutellerie, la société a élargi sa gamme produit, l’univers produit, puis les clients, explique Jérôme Beligné, président de l’entreprise. Sa société travaille essentiellement avec des détaillants indépendants, mais aussi quelques réseaux spécialistes, tels que Décathlon, le BHV ou Terres et Eaux. « Lorsque des personnes nous contactent, l’étape préalable est de savoir comment elles veulent travailler, explique Jérôme Béligné. Si c’est pour avoir tout le marché, c’est d’accord, mais si c’est pour encadrer plusieurs distributeurs, cela ne nous intéresse pas. » Les positions relatives au caractère d’exclusivité dans la distribution évoluent : « Avant, nous négociions avec nos partenaires l’exclusivité tous canaux de distribution confondus. Aujourd’hui, nous sommes plus ouverts à représenter uniquement sur le retail, par exemple, confie pour sa part Laurent Berp, qui prend l’exemple de Bamix pour lequel Emile&Co se charge de la distribution retail en France, mais pas de la partie CHR. Sur les 17 marques qu’elle distribue, la société N2J en compte deux pour lesquelles elle n’est pas distributeur exclusif. La société travaille à 90 % dans l’univers arts de la table. Les produits annexes, la papeterie ou l’univers du rangement sont arrivés du fait que certains de ses clients se tournent vers les concept-stores, mais aussi parfois parce qu’une marque d’art de la table en propose. Les produits, également, dépendent du positionnement. « L’importation basique ne nous intéresse pas, détaille Alexis Damiot, responsable grands comptes de Sabatier SAS. Nous commercialisons en priorité des articles

« A nous d’analyser : la marque est-elle trop proche de notre offre et cannibalisera-t-elle ce que nous avons déjà ? »


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EN BELGIQUE, BILLIET EST DISTRIBUTEUR DES MARQUES 

L’actionnariat du grossiste importateur Billiet, basé à Tielt, en Belgique, est 100 % familial. « L’entreprise réinvestit beaucoup ce qu’elle gagne », commente Caroline Nimmegeers, category manager. C’est aussi ce qui a permis l’extension de l’entrepôt, qui est passé à 95 000 m2 : « Nous pouvons livrer en France entre 48 et 72 heures. » La société compte 130 personnes et travaille sur trois canaux : le CHR, le réseau indépendant et la grande distribution. « Le Belux représente 65 % de l’activité, mais nous sommes présents aussi aux Pays-Bas, en France, en Allemagne, au Portugal, en Russie, au Japon, etc. », précise Frederik Mortier, responsable Belux, dont l’activité intègre les spécificités des différents marchés : « Aux Pays-Bas, il y a davantage de groupements, tandis qu’en Belgique il y a beaucoup d’indépendants (35 % du chiffre d’affaires). » Au Belux, les marques distribuées par Billiet sont vendues dans plus de 4 000 magasins. « En Belgique nous sommes leaders. En France, nous sommes le challenger… », note Frederik Mortier. Justine Ghekière, responsable des marques (la société en distribue une trentaine) filtre les informations qui vont des marques aux équipes de vente, concernant les promotions et les nouveautés : « Ainsi, la stratégie de chaque marque est mieux communiquée et appliquée sur le marché. Il y a par exemple certaines marques que nous ne pouvons pas vendre en GMS, mais seulement aux détaillants. » En 2005, la société a lancé ses propres marques. « Notre stratégie était de créer un concept de l’ensemble des produits sans marque que nous distribuions. Celui-ci a évolué vers une vraie marque connue dans notre segment art de la table », explique la responsable. Ainsi sont nées Cosy&Trendy, Cosy&Trendy for professionnals et Cosy@Home. L’idée est de proposer un bon rapport qualité prix et d’être multicanal. La marque Cosy&Trendy devient reconnue, notamment en Belgique.

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moyens et hauts de gamme. Il faut que la marge soit suffisante pour permettre au revendeur d’assurer un ser vice de qualité. Lorsque nous distribuons un fabricant, il faut que l’écart avec les livraisons en direct ne soit pas trop important : s’il est de 15 %, ce n’est pas possible… Le revendeur accepte 5 %. » C’est plutôt la qualité qui prévaut au cahier des charge de Jérôme Béligné : « Nous avons une réputation de vendre des produits qualitatifs, plutôt des marques spécialistes. » N2J souhaite quant à elle coller à une évolution vers des produits plus sains, plus responsables. Cette démarche la conduit depuis 2 ou 3 ans à participer à de nouvelles formes de salons, plus orientés bio ou écoresponsables. N2J s’apprête d’ailleurs à sortir sous sa marque Pebbly des produits en bambou, au premier semestre 2019, avec un processus 100 % français.

Les avantages pour le détaillant 

L’avantage, pour le détaillant, de travailler avec un distributeur, est d’avoir accès à un ensemble de marques, et d’éluder le minimum de commande par marque. Cela évite les complications en liquidité. « Notre minimum de commande – 300 ou 400 € – est peu élevé, et comme nous avons 10 marques, le chiffre est rapidement atteint, considère Yvone Branco. Si une marque vend en direct, le détaillant peut être bloqué. » Yvone Branco fait valoir un autre atout : « En cas de lancement d’une nouveauté, le détaillant prend un colis, je complète avec le produit, il ne s’engage pas. » La sélection produit, aussi, fait partie du service que Bruno Evrard 

« L’essence même du marché repose sur la nouveauté »


apporte aux détaillants « Je suis porté par la marque, mais pas distributeur de marque. Nous sommes créateurs de collection », souligne Alexis Evrard, son dirigeant, qui met en avant d’autres apports : « Nous avons mis en place un site internet professionnel début 2018, et passé le franco de 800 à 300 €. » Par ailleurs, la marque propre n’est pas arrivée directement chez Chevalier Diffusion, longtemps connu pour le no name. « Nous avons dû trouver une passerelle entre les deux », explique Thomina Pelé. La société a créé un univers visuel, une charte et ses packagings : « Je crois que nous aurions fait une erreur de sortir une marque trop tôt. Nous avons proposé une homogénéisation, avant de lancer notre marque avec sa propre identité. »

Des champs d’action élargis 

Sabatier SAS (10 commerciaux intégrés, 2 agents, 12 000 références, 10 000 m2 d’entrepôt à Vénissieux) a racheté début 2018 le Comptoir national, grossiste spécialisé dans le petit-électroménager : « C’était une opportunité de croissance : l’entreprise était à 1 km de chez nous, observe Alexis Damiot. Ce rachat a augmenté notre assortiment de 2 000 références et nous permet de proposer au retail et aux enseignes spécialisées une collection encore plus large. » Une offre particulièrement intéressante pour l’ensemble des indépendants auxquels est proposé le concept Maison à Vivre (Pulsat, Copra, quincailleries, etc.). Avoir un magasin sous enseigne Maison à Vivre se fait librement : « Nous apportons la logistique, le stock, les prix et la communication. Cela nous permet de toucher un grand nombre de clients. Aujourd’hui, celui qui n’élargit pas son champ d’action recule. » Et pour ce qui est de l’extension de celui-ci, le marché s’y connaît, entre les fabricants qui distribuent (Le Creuset, Linvosges, etc.) et les distributeurs qui fabriquent. Les cartes sont redistribuées et chacun mixe à sa façon, ainsi que le résume Yvone Branco : « Nous avons des marques exclusives que nous distribuons en France, nous avons nos marques que nous fabriquons (Aubecq), nos marques que nous distribuons à l’étranger… via des distributeurs ! »



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