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Dossier
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Intelligence artificielle : place à l'ère du precise market !
Efficacité opérationnelle, expérience client, prise de décision stratégique, collaborateur augmenté… À n’en pas douter, l’intelligence artificielle (IA) révolutionnera à bien des égards le commerce. Explications avec Olivier Godart, expert performance et systèmes d’information et directeur associé du cabinet indépendant de conseil en stratégie Diamart Now.
Offrir International : Selon vous, de quels progrès l’IA fera-t-elle bénéficier le commerce ?
Olivier Godart : Nous avons constaté au salon de la NRF en janvier au USRetail’s Big Show 2024 de la NRF à New York en janvier dernier que le sujet n°1 était l’IA. De nombreux témoignages mettent en évidence cette lame de fond, en particulier en matière de marketing et de communication. Nous voyons émerger des transformations tous les deux ans mais qui ne sont pas toutes suivies d’effet : rappelons-nous par exemple de l’effervescence autour du metaverse en 2022… Dans le cas des modèles de type machine learning et IA, les entreprises de la tech confirment une réelle accélération dans leurs pratiques, avec un accès plus facile à ceux-ci.
C’est une sacrée évolution car ils permettent des niveaux importants de raccourcissement des programmes. Avant, pour réaliser certains projets, être capable d’avoir une bonne compréhension du contenu de la data et prendre les bonnes décisions, nous étions sur des échelles de temps à trois mois dans l’univers de la gestion d’un catalogue produits, par exemple, sur lequel le digital est très exigeant : pour produire des règles de machine learning permettant d’avoir la bonne affectation des articles dans une catégorie donnée ou le bon enrichissement de produits, les algorithmes devaient tourner pendant plusieurs semaines pour faire leur apprentissage.
Désormais grâce à l’IA et les systèmes ouverts, le même travail est effectué en quelques jours. Autre atout, il n’est pas nécessaire d’avoir suivi de longues études en informatique pour mettre en œuvre ces solutions. La vague de l’IA démarre tellement vite et fort qu’il est à date difficile de déterminer précisément quels seront les progrès possibles. Il est en revanche certain que les premiers usages et implémentations vont dans le sens de l’assistant intelligent : pour les clients en direct via des chatbots, pour les collaborateurs en magasin ou au siège social, il y a désormais une capacité à apporter des réponses plus rapidement et de façon plus précise, quel que soit le sujet adressé.
Les nouveaux chatbots basés sur de l’IA sont bien plus puissants et efficaces que les anciens systèmes fondés sur le système d’apprentissage, où la donnée injectée était limitée. Aujourd’hui, il est possible de traiter une quantité quasi infinie de données, et de fournir des réponses rapides aux personnels en magasin, aux clients interrogeant un service support… Des enseignes ont par exemple lancé des projets permettant à leurs conseillers de vente de répondre en fonction des demandes des clients : nous voyons donc émerger de façon évidente cette notion d’assistant intelligent.
L’IA englobe en effet des solutions non pas destinées à
remplacer votre activité mais à vous aider sur les tâches fastidieuses.
Aujourd’hui la taille de la boite à outils est devenue quasi illimitée. Nous
voyons aujourd’hui des use cases de petits problèmes qui sont réglés
en deux ou trois jours de configuration qui peuvent faire gagner un ETP
(équivalent temps plein, N.D.L.R.).
Par où démarrer l’intégration de l’IA ?
La première recommandation que nous donnons à nos clients détaillants est de commencer par des petits pas et non d’essayer de régler d’importants problèmes immédiatement, car il y a un temps d’apprentissage qui entrave nécessairement l’efficacité. Parmi les usages prioritaires, je crois beaucoup à la réduction des tâches à faible valeur ajoutée qui sont une corvée pour tout le monde dans l’entreprise. Il semble préférable de traiter dans un premier temps les petits sujets, même s’ils paraissent un peu triviaux. Je pense par exemple à certains de nos clients confrontés à des problèmes de réconciliation de factures : grâce à des solutions accessibles sur le marché, ils sont désormais en mesure d’automatiser les processus, non pas dans une phase de saisie mais de contrôle.
Cependant, l’IA ne fait gagner du temps et en productivité que si elle est couplée à un système d’automatisation. Si je reprends l’exemple du service financier, l’IA est certes capable de récupérer de l’information dans un document non formaté (date, montant hors taxe, devise, etc.), mais elle ne sert à rien sans un automate qui complète un formulaire dans une base de données. L’IA se révèle également être une aide précieuse pour le marketing : une campagne marketing multicanale nécessitait auparavant plusieurs semaines pour concevoir, créer et décliner selon les supports utilisés. Aujourd’hui, l’IA assiste dans la création avec des questions pertinentes pour définir le besoin.
Plutôt que d’essayer de penser à tout dès le départ du projet, le système via une méthode de question/réponse et d’entonnoir aide à coconstruire : à l’instar d’un assistant, il n’effectue pas le travail à votre place et ne prend pas de décision mais il aide à définir le besoin, la demande. Là où réfléchir, benchmarker, discuter avec des concurrents prenait des semaines, le système apporte désormais un niveau de connaissances suffisamment large pour pouvoir prendre les décisions.
Autre atout de l’IA, elle permet de sortir des standards : pour gagner du temps, il est souvent tentant de répéter ses recettes, ce qui produit globalement les mêmes choses et il est difficile d’en sortir, pris par la vitesse et la nécessité de délivrer. Or, ces outils permettent de quitter sa zone de confort et de répétition et amènent à soulever des interrogations que les équipes ne posent parfois plus, faute de temps. Or, notre cerveau est limité dans l’assimilation du nombre de données. L’IA repousse ces limites, interprète les signaux faibles, pour produire un résultat pertinent.
Pour les commerçants de proximité indépendants, comment opérer et réussir cette intégration de l’IA ?
Nous estimons chez Diamart que l’IA représente une réelle chance pour les acteurs de petite taille d’accéder à des solutions qu’auparavant seules les grandes structures pouvaient utiliser. Nous migrons en effet d’un monde de pur développement informatique vers une ère d’intégration de solutions avec des outils existants sur le marché : il faut juste être capable de les trouver, de les connecter et de les faire fonctionner pour délivrer quelque chose. Google et Microsoft offrent un certain nombre de services d’ores et déjà utilisables, avec en effet quelques compétences à avoir et, éventuellement, le besoin de se faire assister dans un premier temps. Mais pour peu qu’il dispose de la bonne infrastructure, le détaillant confronté à un problème de fonctionnement pourra facilement le résoudre.
L’IA est donc une vraie chance pour les commerçants indépendants qui ont tout intérêt à commencer à s’y intéresser : par exemple pour une clôture de caisse hebdomadaire qui prend du temps parce qu’il faut réconcilier des fichiers à droite à gauche, y a-t-il une solution ? Nous avons une structure partenaire qui accompagne les clients sur des projets à moins de 5 jours. J’ai même tendance à penser que l’intégration de l’IA sera plus facile pour les petites structures que pour les grandes, en raison des changements qu’elle implique pour les équipes techniques qui la voient parfois plus comme une crainte que comme une opportunité. L’IA est un sujet qui intéresse souvent les commerçants indépendants, mais ceux-ci ont encore des difficultés à percevoir quelles pourraient être les applications pour eux.
Il est donc intéressant de demander à ses collaborateurs de lister les dix tâches les plus fastidieuses ou les petits sujets qui mériteraient des correctifs et à partir de là commencer à travailler : il faut démarrer par le terrain, et non par la vision. Car le risque est précisément d’enclencher l’intégration de l’IA par le haut : nous n’avons ni la maturité ni le recul pour le faire avec une vision stratégique. A date, il ne faut pas procéder en voulant changer toute sa chaîne logistique pour faire en sorte que l’IA gère celle-ci. En revanche, si dans l’entrepôt, un collaborateur est contraint de saisir des fichiers à la main, ce qui lui prend du temps, c’est un premier point à traiter avec l’IA.
Chacun a le droit de croire qu’un jour l’entreprise sera totalement gérée par l’IA mais d’ici là, il est préférable de traiter les vrais problèmes des collaborateurs plutôt que d’imaginer des choses qui n’existent pas encore. Pour les grandes structures, l’écueil risque d’être la résistance au changement, ce qui se comprend pour des sujets de visibilité et de sécurité qui se posent légitimement à tous les retailers, en particulier sur le stockage des données, etc. Cependant, le sujet de l’IA pousse tellement vite et fort que les CEO des grandes entreprises s’intéressent à la tech et pour certains viennent désormais du digital. Les postes de dirigeants ne sont plus le pré carré de la finance et des achats.
L’IA soulève des questions dans la conduite du changement et génère de la peur : dans la mesure où on ignore ce à quoi elle peut conduire, on a tendance à imaginer le pire. Il importe donc de comprendre ce qu’elle est, et comment l’utiliser pour en tirer le meilleur parti. Ce changement de culture doit venir du haut de l’entreprise, pour que l’innovation ne se heurte pas à un plafond de verre. D’où l’importance pour les managers quelle que soit la taille de leur entreprise, de comprendre les limites et les avantages de l’IA, sans pour autant être expert. En tout cas, il faut sortir du mythe de l’IA consistant à penser que demain les salariés seront inutiles.
Soit vous considérez que vous avez tout fait, que vous savez tout
faire et que vous faites tout bien : dans ce cas, demain, avec l’IA, vous
aurez besoin de moins de collaborateurs. Soit vous pensez qu’il y a des
points, des processus que vous pourriez améliorer, et dans ce cas il n’y
a aucune raison que l’IA ne soit pas un outil pour progresser en gardant
vos salariés, dont les compétences seront augmentées grâce à celle-ci.
« Il faut sortir du mythe de l’IA qui consiste à se dire que demain les salariés seront inutiles. »
Existe-t-il déjà des formations spécifiques à l’IA pour les commerçants ?
Le volet formation est en cours de structuration et commence à émerger. Pour l’instant, il s’agit surtout de formations très techniques pour la partie développement. L’IA a été plus rapide que tout le monde, au point que le marché n’a pas eu le temps de se mettre en place mais tout un écosystème est en train de se créer pour accompagner les clients sur la compréhension et la mise en œuvre de ces technologies. Nous sommes nous-mêmes en train de réfléchir à une offre pour les retailers de toutes tailles afin d’aborder ces sujets et élaborer leurs projets de mise en œuvre.
L’IA est une opportunité, sauf si on ne s’y intéresse pas, sinon elle deviendra vite un danger. Cela a été dit pour une multitude de sujets, mais je la compare à la révolution de l’informatique. Avant, les magasins fonctionnaient avec des bordereaux papier. Quand l’informatique est arrivée, les premiers détaillants à s’en être emparés ont vraiment créé la différence auprès de leurs clients et sur leurs comptes de résultats. Avec l’IA, c’est à peu près similaire, tout en gardant à l’esprit qu’il n’y a pas de magie : autrement dit, pas d’IA performante sans données de qualité. Le marketing, c’est la réconciliation des données produits et des données clients : il convient donc au préalable d’avoir une base saine.
Si demain vous adressez un sujet mais que votre base
d’articles n’est pas “propre” car les produits sont mal catégorisés ou les
libellés mal rédigés, il y a un travail de départ : l’IA ne sait travailler que
sur des bases existantes et organisées. Il est impossible de faire un use
case en demandant par exemple “quels sont les clients susceptibles
d’acheter des couteaux pour étaler de la pâte à tartiner” en l’absence
d’historiques d’achat et de données produits proprement rangées. Les
détaillants qui ont l’habitude de créer leur propre base d’articles en local
et d’utiliser des codes qu’eux seuls sont en mesure comprendre, auront
du mal à faire travailler l’IA. Un premier chantier peut être d’utiliser les
intelligences artificielles qui justement aident à nettoyer, ordonner et
mettre au propre la donnée.
Quels sont les écueils et les limites ?
Les premières limites sont les infrastructures, nécessaires pour faire fonctionner de l’IA : une société qui n’a pas fait les migrations de ses boites mail par exemple sur des versions un peu modernes telles que Microsoft 365 ou Google Cloud Platform (GCP), aura du mal à utiliser certains outils. Le deuxième écueil est d’ordre légal.
Par exemple, un vendeur de robots ménagers demande à l’IA de créer des fiches produits avec les descriptifs : que se passe-t-il si un utilisateur s’électrocute parce que le système s’est trompé dans le voltage ? Qui sera responsable juridiquement ? Il ne faut pas confondre IA et automatisation sans contrôle. Dans les organisations et les façons de penser des entreprises, cette question va invariablement se poser et il conviendra de la traiter avec pragmatisme.
Globalement, ce qui est produit par IA et les machines learning est de meilleure qualité que ce que l’humain produit, car ils sont plus répétitifs et plus standardisés, donc le risque d’erreur de faire remplir une fiche produit par un robot est plus faible que de le confier à un humain. En revanche, cela n’exclut pas le contrôle.
Pour le consommateur, qu’est-ce que l’IA transformera ?
Cela fait longtemps que la personnalisation est un sujet : par exemple, le contenu d’une page web est aujourd’hui dit personnalisé. En réalité, ce niveau de personnalisation avec les outils traditionnels est relativement pauvre, générant des effets de cohorte assez large de type “ceux qui ont vu/acheté ce produit ont aussi consulté/acheté tel produit”. Les chances pour que le client aille voir le même produit que les autres sont donc faibles.
C’est du vase clos. Avec l’IA, il sera possible d’utiliser la
data recueillie durant la navigation du client pour vraiment adapter à ses
envies et entrer dans l’interprétation des signaux faibles pour mettre en place un vrai parcours personnalisé, en ligne. En magasin, demain, le
vrai sujet sera : comment les vendeurs deviennent plus pertinents dans
la compréhension des attentes clients, des recommandations qu’ils
émettront, grâce à des assistants intelligents qui pourront les aider à
choisir le bon produit grâce aux données stockées dans les systèmes.
L’IA modifiera-t-elle les pratiques de consommation ?
Ce qui va changer, c’est ce qui ne se voit pas. En point de vente, le consommateur a le choix parmi un assortiment fondé sur une bonne part de feeling. Il existe peu d’entreprises très data driven sur le choix des assortiments ou des positions de stocks qu’ils ont en magasin. De plus en plus, par l’automatisation et l’amélioration des processus du back office (gestion assortiment, stock, analyse des ventes, impact de la météo, etc.), les assortiments en local seront beaucoup plus adaptés aux attentes du marché. C’est le premier point à travailler car c’est celui qui génèrera le plus de revenus. Il y aura aussi bien entendu de multiples applications sympas en magasin, mais le vrai changement sera back office sur la gestion des produits et des campagnes marketing.
L’IA revêt un potentiel énorme sur leur
optimisation et leur amélioration. Une fois de plus, la limite sera fixée
par l’historique et la structuration des données, souvent insuffisants.
Cette organisation nécessite un processus de gouvernance de celles-ci ;
la prise de conscience est en train de se faire : le socle pour avoir demain des outils de gestion de l’offre et du marketing fondés sur l’IA se
développe très rapidement.
Et il y aura aussi tout ce que nous ignorons encore, car l’IA se développe
tellement vite qu’il est difficile d’en imaginer toutes les possibilités. Ce
qui est certain, c’est que le fondement du métier de distributeur – avoir
le bon produit au bon prix au bon moment – sera le premier point que
l’IA aidera à améliorer.
En quoi l’IA permettra d’améliorer le parcours achat ?
Le premier impact sera la personnalisation, avec l’analyse des signaux faibles, pour être plus pertinent et percutant sur le message. Le deuxième sera la qualité et la rapidité des réponses. Aujourd’hui il peut arriver d’attendre 6 minutes auprès d’un centre d’appel pour en obtenir une. Demain cela ne sera plus. D’ailleurs, plus personne n’acceptera de patienter plusieurs minutes pour entendre une réponse approximative sur un sujet. Le support apporté via les plateformes ou en magasin va considérablement s’améliorer. Ce sera un élément différenciateur de l’expérience client.
L’IA est de plus un sujet clé pour le marketing individualisé. L’ère du mass market est révolue. Place à celle du precise market, grâce à la capacité de l’IA à accéder et analyser rapidement un grand nombre de données pour en tirer des recommandations. Quand on envoie un media par e-mail, il faut choisir les quatre produits qui feront mouche, donc être bien plus précis dans la structure marketing que ne l’est un catalogue de 30 pages. Or il est impossible de multiplier les ressources marketing pour améliorer la qualité du delivery des emails. L’IA, à condition de lui fournir les bons prompts, permet de produire des campagnes plus nombreuses et plus ciblées, pour atteindre le client de façon chirurgicale, au bon moment avec le bon produit et l’offre qui l’intéresse.
Par exemple, au
vu de l’historique d’achat d’une consommatrice qui achète des goûters
pour enfants trois fois par an, en juillet, en août et à Noël, vous déduisez qu’il s’agit de ses petits-enfants. Donc vous pouvez travailler cette
catégorie de produit à ces moments-clés, puisque le reste du temps,
cela ne sert à rien. Demain l’IA sera capable de rechercher dans vos
bases de données pour fournir ce genre de propositions. Si on pose les
bonnes questions, on obtient les bonnes réponses !