Le déclin des commerces de centre-ville n’est pas une fatalité
13 juin 2017
Le palmarès des centres-villes publié en début d’année par Procos, la fédération
du commerce spécialisé, met en évidence un taux moyen de vacance commerciale en progression et proche de 10 %. Pourtant, ce phénomène n’est pas inéluctable, selon Emmanuel Le Roch, délégué général de Procos, qui souligne que certains facteurs favorisent la vitalité des centres-villes, donc des commerces.
Entretien.
En termes de fréquentation, l’année 2016 affiche un score de -2 % pour les commerces de centres-villes, + 1 % pour ceux de périphérie. Comment analysez-vous ces chiffres ?
Les résultats de 2016 sont dus à plusieurs phénomènes, eux-mêmes inscrits dans un contexte général de stagnation du commerce. Vient en tête un sujet conjoncturel lié à la problématique des attentats, qui ont eu un effet négatif sur le tourisme et la fréquentation des centres-villes, particulièrement à Paris et Nice. L’effet de concentration dans des endroits devenus anxiogènes s’est révélé défavorable dans ce cas. Un retour progressif à la normale est désormais observé, avec une fréquentation plus importante en 2016 qu’en 2015. De plus, les difficultés rencontrées par certains secteurs, notamment les commerces d’équipement de la personne, sont également en cause, compte tenu de leur forte représentation dans les centresvilles. Les mauvaises conditions météorologiques au printemps puis en fin d’été sont notamment en cause pour les secteurs des chaussures et du textile. Par ailleurs, ces scores s’expliquent selon une logique structurelle liée aux changements des habitudes de consommation, influencée par l’e-consommation d’une part, la réflexion générale qui a trait à l’environnement, l’aspect durable, la santé, etc., d’autre part. C’est particulièrement visible dans le secteur du prêt- à-porter, où les acteurs traditionnels sont en difficulté, bousculé par de nouveaux acteurs tels que Primark tirant le prix moyen vers le bas et une tendance à la hausse du sportwear. La baisse de fréquentation dans les centres-villes est enfin due à une hausse des achats en ligne. Ce comportement existe depuis longtemps dans certains secteurs, tels que les produits techniques et culturels, donc l’impact est maintenant moins notable. En revanche, le poids du e-commerce croît significativement sur l’équipement de la personne et le textile
« La rentabilité économique repose
sur la venue des consommateurs dans
le magasin : qu’ils y trouvent du conseil
et y fassent des découvertes »
Comment s’explique le plébiscite
de la périphérie ?
Des tendances de fond expliquent le phénomène, en particulier dans les petites agglomérations, avec le développement de l’habitat en périphérie et des centres commerciaux. La plupart des communes ont commis des erreurs notamment en termes d’accessibilité de leur centre-ville. Si le facteur “qualité de vie” avec des zones piétonnes est important, les aménagements ne doivent pas être réalisés au détriment d’une accessibilité supportable et une politique de stationnement adapté, sur le plan financier notamment.
Il ne s’agit pas d’instaurer obligatoirement une gratuité totale mais partielle, avec une vraie politique de la ville pour une bonne gestion du parc de stationnement. Dans les grandes agglomérations, la question est moindre lorsque le réseau de transport en commun est suffisamment dense et complète efficacement le déplacement automobile. Du côté des enseignes, il faut être conscient que s’implanter en centre-ville est plus compliqué, plus cher… Les locaux n’y sont pas toujours fonctionnels et les modalités d’accès sont plus complexes qu’en périphérie en termes de loyer, de travaux, de taille... Les commerces d’équipement de la maison rencontrent notamment des difficultés à rester dans ces centres-villes car ces ils nécessitent de plus grandes surfaces. C’est dommage, car les centres-villes ont besoin d’une offre diversifiée pour attirer les chalands
Comment palier le déclin des commerces de centre-ville ?
Ce phénomène n’est pas une fatalité, mais n’est pour autant pas
à sous-estimer. Les commerces ne s’implantent que s’il y a des
consommateurs, qui se rendent dans les centres-villes pour des
raisons multiples : ceux-ci y viendront plus facilement si l’accès et le
stationnement sont facilités. Les politiques en matière de logement
et d’emploi jouent un rôle déterminant. L’effet favorable pour le
commerce des centres-villes qui ont conservé les actifs du tertiaire
et les administrations est particulièrement notable.
Une volonté de raconter une histoire autour de la spécificité locale
est enfin essentielle dans la politique de la ville. La recette qui fonctionne
dans telle commune n’est pas celle qui portera ses fruits dans
une autre. A chacune de trouver le juste équilibre entre les métiers
de bouche, les commerçants locaux et les enseignes nationales.
Pour cela, il est essentiel que les élus aient une vision dans le temps.
Comment votre fédération accompagne-t-elle ses adhérents ?
Nous communiquons auprès des élus, des collectivités, pour dresser
des états des lieux objectifs et les inciter à mettre en place des
dynamiques pragmatiques et positives. Certes, la situation est difficile,
mais nous nous attachons à être réactifs pour essayer d’arrêter
l’hémorragie et mettre rapidement des initiatives en place, en étant
conscient du fait que les résultats sont longs à obtenir. La notion
de mise en réseau de nos adhérents est également fondamentale,
en particulier pour ceux qui rencontrent des difficultés. Ils bénéficient
ainsi du regard et de l’analyse du groupe, et déterminent ainsi
si les difficultés sont liées au contexte ou au magasin.
De par notre caractère national, nous réalisons et publions des études
sur les villes françaises, et émettons des préconisations. A cet égard,
nous constatons dans tous les cas que les solutions finales pérennes
sont locales, et portent leur fruit lorsque les commerçants indépendants
et de chaîne travaillent avec les élus à trouver des solutions.
C’est également ce qui ressort des observations des managers du
commerce, dont le rôle est de rendre les centres-villes attractifs.
La communication entre les différents protagonistes est essentielle,
le point de départ étant la dynamique insufflée par les élus locaux.
Leur mission est d’aménager une commune agréable pour leurs
concitoyens et le commerce y contribue. Pour cela, les commerçants
doivent s’impliquer et passer dans un schéma collectif. A eux de ne
pas être que sous le mode revendicatif mais de se révéler force de
proposition et constructifs par rapport à un environnement anxiogène
actuellement. Convaincue que le magasin reste un lieu d’expérience
pour ses clients, notre fédération est décidée à cultiver un
cercle vertueux en montrant les exemples concrets qui fonctionnent.
En réussissant à avoir une dynamique pour que chacun ne se dise
pas en restant dans son coin “le bateau coule”.
« Aux commerçants de se révéler
force de proposition et constructifs
par rapport à un environnement
anxiogène actuellement »
Quelles sont les caractéristiques des centres-villes
les plus dynamiques ?
Les leaders de notre palmarès des centres-villes présentent trois des
critères suivants : l’accessibilité (souvent multimodale), un plateau
piéton à la taille du cœur de ville, un bon partage de l’espace public
piéton/voiture, l’organisation d’événements culturels et touristiques,
un développement concerté et contenu des zones périphériques, une
large offre d’activités de loisirs marchandes ou non.
Plus nous travaillons sur le sujet, plus il est évident que le point
numéro 1 est celui de l’accès. Tout ce qui constitue une contrainte
amène le consommateur à rechercher une solution alternative, qui
réside souvent dans Internet, la périphérie ou une ville concurrente
proche, même si l’offre des commerçants locaux est qualitative. Dans
les villes de province de taille moyenne notamment, l’automobile,
même électrique, restera le principal mode de transport. Certes,
aménager des parkings n’est pas la réponse à tout. Mais, sans cela,
tout ce qui pourra être mis en place sera un coup d’épée dans l’eau.
La création de plateformes numériques communes
peuvent-elles être un recours ?
Les réflexions sont en cours sur ce sujet. A mon sens, c’est un plus :
les chances d’exister sont plus nombreuses en se regroupant qu’en
restant isolé sur la toile. Cela peut répondre à un certain nombre
de problématiques et élargir la palette de services des commer-
çants indépendants, en les fédérant. Cependant, même si ce n’est
pas quelque chose à rejeter, Internet ne sauvera pas le commerce de centre-ville. La rentabilité économique repose sur la venue des
consommateurs dans le magasin : qu’ils y vivent quelque chose d’intéressant,
y trouvent du conseil et y fassent des découvertes.
« Les magasins ont une carte
à jouer sur la notion de disponibilité
immédiate du produit »
Quelles sont les particularités des commerces spécialisés
dans l’art culinaire et de la table ? Pourquoi tirent-ils mieux
leur épingle du jeu ? Quelles sont leurs forces ?
Ces univers bénéficient de l’appétence et de l’attachement des Français
pour ce qui se passe dans la maison. Ce schéma apparaît comme
moins futile que celui de l’équipement de la personne. Le succès des
émissions culinaires et de téléréalité en témoignent. Les gens passent
de plus en plus de temps sur Internet, donc chez eux. La qualité
de vie à la maison devient un point clé, a fortiori lors de périodes
inquiétantes : les gens se rassurent en constituant un univers qui les
protège. Le succès d’enseignes telles que Du Bruit dans la cuisine ou
Maisons du monde témoignent par exemple de leur correspondance
avec l’état d’esprit des consommateurs.
Parallèlement, l’uberisation de certaines activités (Airbnb, par
exemple) incitent les consommateurs à s’équiper, y compris sur
les secteurs cuisine et table, avec le développement des repas chez
l’habitant, générant la dématérialisation d’une offre de restauration
classique. Le petit électroménager se porte notamment bien, avec
des innovations et des consommateurs français dynamiques. Ces
produits deviennent des objets que l’on montre grâce au travail des
fabricants sur le design et intègrent une dimension plaisir qui dépasse
celle de l’obligation.
Comment ces enseignes peuvent-elles progresser ?
Ces secteurs se portent bien et doivent répondre à une problématique
générale, qui consiste à trouver le bon équilibre entre le digital
et le magasin physique, en procédant aux bons arbitrages. Le commerçant
qui vend sur le web doit se demander quel sera le meilleur
raisonnement pour son magasin (quels rôles pour celui-ci ? quelles
expériences pour le consommateur ?), dans un complément à l’expé-
rience internet. Il faut être lucide : aucun point de vente ne propose
une offre plus large qu’Internet. Si celle du commerçant est banale,
il y a forcément érosion. A lui d’avoir des convictions, de prendre
parti et de faire des choix assumés pour aider le consommateur à s’y
retrouver dans une offre pléthorique. Le conseil est l’autre sujet-clé.
La présence humaine est indispensable, mais à condition d’être disponible
selon le besoin du client et d’apporter davantage par rapport
aux comparaisons techniques disponibles sur le web.
Comment voyez-vous l’avenir du magasin physique ?
Je suis optimiste. Les enseignes et les points de vente font beaucoup
d’efforts en termes de créativité et d’adaptation au contexte actuel.
Le showrooming, une pratique du consommateur qui consiste à venir
en magasin pour voir le produit et l’acheter plus tard sur le web à
un prix souvent inférieur, est certes une réalité. A ceci près que les
clients veulent disposer du produit immédiatement. Pour preuve :
les services de livraison en 24 heures proposés par les sites de vente
en ligne et certains commerçants. Les magasins ont une carte à
jouer sur la notion de disponibilité immédiate. Il est frustrant pour
le consommateur de ne pas repartir avec le produit pour en disposer
tout de suite. Une raison de plus pour le commerçant de travailler
sur la spécificité de son offre : proposer des articles ou des services
qui ne se trouvent pas ailleurs, et associer les uns aux autres. Le plus
dur est de trouver des services réellement pertinents, qui ont un
caractère de régularité, et à les rendre économiquement viables.
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Procos, Identité et mission
Fédération du commerce spécialisé, Procos regroupe 260 enseignes
tous secteurs d’activité et formes confondus, et 60 000 points
de vente. Son rôle est d’apporter son expertise en commerce
et urbanisme commercial. Ses études sur le commerce
dans les villes visent à accompagner ses enseignes adhérentes
dans leur développement.