Offrir International : En 2017, Centre-Ville en Mouvement a sollicité un label “Grande Cause nationale 2018” pour le centre-ville. Pour quelles raisons ?
Pierre Creuzet : En septembre 2017, nous avons tiré un signal d’alarme : en 2016, la France comptabilisait au total 23 % de nouvelles surfaces commerciales, dont 90 % sises en périphérie. Notre démarche ciblait en particulier les villes de taille moyenne et les centres-bourgs, confrontés à une dévitalisation, voire une désertification. Le Baromètre 2017 du centre-ville et des commerces (réalisé par l’Institut CSA pour notre partenaire Clear Channel et notre association) mettait d’ailleurs en évidence un sentiment de déclin accru concernant le centre-ville chez les Français. Nous avons notamment demandé un moratoire d’un an sur l’extension des zones commerciales périphériques en vue d’une réflexion sur de nouveaux critères de régulation des espaces commerciaux. Avec un taux de vacance supérieur à 11 %, même celles-ci sont en difficulté. Il est donc pertinent de cesser d’augmenter leur surface. Concernant l’obtention du label, le Président de la République Emmanuel Macron a privilégié la lutte contre les violences faites aux femmes.
Quels sont selon vous les enjeux en matière de commerce pour les candidats aux prochaines élections ?
Le coeur de ville incarne l’image de la commune. C’est un sujet primordial pour la population française et européenne. Notre dernier Baromètre du centre-ville et des commerces (lire ci-après) révèle que la fréquentation des centres-villes est en hausse et que les attentes en matière de dynamisme commercial, culturel et touristique, d’accessibilité des centres-bourgs, d’infrastructures font partie des priorités pour la majorité des Français. Il faut donc absolument que les élus travaillent à cela. Le commerce est un élément important du centre-ville, mais ce n’est que la partie visible : s’y ajoutent les problématiques de l’accès, de la circulation et du stationnement, du taux de vacance, du pouvoir d’achat dans les centres-villes paupérisés… L’animation joue aussi un rôle essentiel.
Des solutions existent pour revitaliser les centres-villes, mais elles sont à envisager au cas par cas. Du cousu-main : voilà ce que l’on demande aux centres-villes. Et la politique du maire est essentielle en la matière. Le cas d’Issoire (environ 15 000 habitants) en est l’illustration, avec un centre-ville qui connaît une réelle dynamique grâce à une volonté politique forte du maire et de ses adjoints. Autre exemple à Dijon, où grâce à une concertation entre le maire et les restaurateurs, le centre-ville a repris vie le dimanche avec une proposition de brunch : 600 couverts sont ainsi servis et la plupart des commerces rouvrent de ce fait ce jour-là. Les marchés et les halles gourmandes avec une offre de restauration sur place ont aussi un effet significatif sur la fréquentation et l’attachement des habitants à leur centre-ville, comme par exemple à Mont-de-Marsan, Saint-Etienne...
Par ailleurs, les travaux portés par nos différents observatoires soulignent des solutions : le fait pour une commune de disposer de quelques emplacements pour proposer une diversité commerciale (avec des artisans ou des artistes par exemple). La data, très exploitée par la grande distribution, est par ailleurs encore fort peu utilisée par les centres-villes, malgré les potentialités (géolocalisation, etc.) qu’elle offre. Il y a également une réflexion autour du métier de manager de centre-ville. A ce titre, Centre-Ville en mouvement s’est associé avec l’école universitaire de management IAE Caen pour mettre en place un diplôme universitaire pour de futurs managers de centre-ville. Celle-ci a débuté le 6 janvier dernier, à l’Université de Caen, avec une promotion d’une dizaine d’étudiants de toute la France aux profils divers. Ce cursus vise à former des professionnels experts, capables d’établir un état des lieux, de définir un projet et d’accompagner les élus dans une approche transversale. La finalité est que ces diplômés évoluent sur des fonctions de management de projet dans le cadre du programme Action Coeur de Ville ou occupent des fonctions de responsables dans les agences de développement économique des collectivités locales, départementales ou régionales. Nous assistons donc à un élan de renouveau des centres-villes.
Selon vous, les magasins d’art de la table, d’articles culinaires ou de cadeaux font-ils partie des commerces porteurs pour le centre-ville ?
Les commerces qui proposent de l’art de la table, ou plus largement de l’art dans la maison, et une offre cadeau sont obligatoires pour les centres-villes. La pâtisserie, la boulangerie, la cuisine suscitent l’engouement des citoyens, en particulier des CSP++ qui suivent des cours ou n’hésitent pas à s’équiper en y consacrant parfois un important budget. Nous assistons à une transformation complète de ces métiers. Les commerces d’art culinaire et de la table sont par conséquent des métiers d’avenir pour les centres-villes, d’autant que le consommateur est en demande de conseil et d’accompagnement dans son projet. En outre, l’art culinaire est important pour les Français, et cette offre, qui conjugue tradition et modernité, doit se trouver dans les lieux historiques que sont les centres-villes. Les Français aiment la gastronomie et admirer la beauté de la table et de leur assiette. Ce type de commerces est d’autant plus important qu’il peut clairement constituer un lieu de destination vers le centre-ville.
78 % des Français fréquentent leur centre-ville au moins une fois par semaine (+ 5 points versus 2018)
33 % des 18-24 ans déclarent aller de plus en plus en centre-ville
72 % des Français sont fortement attachés à leur centre-ville (+ 14 points versus 2018)
L’inquiétude des Français vis-à-vis de leur centre-ville, perçu de plus en plus comme en déclin, est croissante. Ce sentiment atteint 59 % dans les communes rurales, 53 % dans celles de moins de 100 000 habitants de province.
4 Français sur 10 connaissent le plan national Action Coeur de Ville du gouvernement, mais peu savent réellement en quoi celui-ci consiste. Une notoriété plus forte est cependant notée dans les villes concernées par le programme. Pour rappel, ce dernier vise à faciliter le travail des collectivités locales, inciter les acteurs du logement, du commerce et de l’urbanisme à réinvestir les centres-villes, favoriser le maintien ou l’implantation d’activités en coeur de ville. 222 collectivités en sont bénéficiaires. 5 milliards d’euros ont ainsi été mobilisés sur 5 ans.
Les Français considèrent toujours le centre-ville comme un espace peu connecté, à l’exception des Parisiens. Parmi les attentes autour du digital : le wifi gratuit dans la rue (54 %), de l’accès à la donnée publique (47 %), une application portant sur les animations, les commerces, les actualités et les services de centre-ville (38 %), des écrans digitaux donnant accès à plusieurs services dans la rue (33 %)
21 % des Français pensent que la dynamisation des commerces est la 3e priorité pour les élections municipales, juste après la sécurité et les biens des personnes (33 %), et le cadre de vie/environnement (31 %). Le baromètre fait état d’une fréquentation en hausse de 28 % pour les commerces de centre-ville (+ 2 points) et de 35 % des marchés (+ 4 points) par rapport à 2018. La dynamisation des commerces apparaît donc comme un enjeu essentiel des élections municipales. D’autant que les commerces figurent au premier rang des priorités des Français pour leur centre-ville : en tête les commerces alimentaires (17 %) et au 8e rang, les commerces spécialisés (6 %, + points par rapport à 2018). Aux 2e, 3e et 4e rangs, se trouvent les transports en commun (15 %), les services administratifs (15 %) et les professions libérales (10 %).
SOURCE :
4e Baromètre du centre-ville et des commerces, usages et attentes des Français Enquête réalisée en mai dernier auprès d’un échantillon représentatif de 1 006 Français âgés de 18 ans et plus, constitué selon la méthode des quotas (sexe, âge, CSP, région) ; enquête menée par l’institut CSA, en partenariat avec Clear Channel et Centre-Ville en Mouvement.
Photo : © Département de l'Eure