Dossier

André Tordjman : "Nous jouons selon les règles d'un commerce puissant et massifié”

27 janvier 2020
Par : Sophie KOMAROFF

Quelques mois après sa reprise par Little Extra, Du Bruit dans la Cuisine remodèle sa formule, avec des résultats encourageants en points de vente. Entretien avec André Tordjman, président des enseignes Little Extra et Du Bruit dans la Cuisine.

Offrir International : Vous étiez le seul candidat à la reprise de l’enseigne Du Bruit dans la Cuisine. Quelles étaient vos motivations ?

André Tordjman : A l'examen du dossier, de nombreux éléments ne plaidaient pas en faveur d’une reprise : une conjoncture défavorable, une souffrance généralisée dans le retail, un concept qui n’était plus d’actualité, de l’endettement, un renouvellement insuffisant de l’offre, un unique candidat – nous – à la reprise… 

Alors en effet, pourquoi se positionner sur ce marché ? L’approche a été purement entrepreneuriale, consistant à réfléchir à ce qu’il était possible de réaliser plutôt que de penser à l’impossible, et à déterminer si nous avions des réponses à apporter aux points critiques. 

Dès lors, il devenait envisageable de sauver une marque intéressante, ainsi que des emplois, d’autant que Du Bruit dans la Cuisine a un potentiel de croissance. L’ensemble des retailers souffre actuellement d’éléments conjoncturels et structurels, en particulier la déconsommation ou le déplacement de la consommation. Réussir nécessite de sortir de son univers et de se réinventer. 

Notre objectif n’est clairement pas de faire une seule et même enseigne, mais de permettre à Du Bruit dans la Cuisine de se réinventer grâce à Little Extra, et inversement. Il s’agit là de deux enseignes qui peuvent s’apporter beaucoup mutuellement.


Quelles initiatives avez-vous mises en place depuis cet été ?

La problématique était de reprendre une entreprise dont le moral des collaborateurs était bas. Nous avons beaucoup anticipé en termes d’organisation pour réussir l’entrée en matière si le tribunal de commerce nous donnait son feu vert : système d’information, comptabilité, logistique, approvisionnement… 

Le contexte n’était pas évident au 1er août, entre les collaborateurs en congés, ceux en arrêt maladie, ceux en dispense d’activité, ceux non repris par l’administrateur… Nous avons tout de même réussi un démarrage sans-faute, grâce à un fort engagement des collaborateurs et une bonne anticipation des sujets. 

En outre, l’enseigne était en redressement judiciaire depuis début 2019 : les achats en vue des fêtes de fin d’année n’avaient donc pas été réalisés. Nous nous y sommes attelés dès septembre, et les fournisseurs ont joué le jeu et nous ont accordé leur confiance. 

Ce deuxième semestre 2019 s’est donc bien déroulé, malgré la grève affectant les transports en décembre, bien plus pénalisante que le mouvement des Gilets jaunes l’année précédente puisque celui-ci ne concernait que les samedis. Cette année, les consommateurs ont été entravés dans leurs déplacements quotidiens, et cela s’est ressenti puisqu’avant la grève nous enregistrions une croissance à deux chiffres.


L’offre de Du Bruit dans la Cuisine a fait l’objet d’un repositionnement partiel et d’une rationalisation
en 2019. L’objectif à termes et de proposer une offre cuisine plus responsable et
plus belle, en la modernisant, avec une notion de concept-store


Quels partis avez-vous pris en termes d’offre ?

Nous avons rapidement établi des choix différents pour clarifier l’offre, en la rationalisant d’une part, en la repositionnant partiellement d’autre part en 2019. 

Du Bruit dans la Cuisine était devenu une enseigne de gadgets et de cadeaux pour la cuisine. Or, nous l’avons reprise afin de devenir un opérateur important sur la cuisine, que nous envisageons comme une pièce à vivre de la maison et un lieu d’expressivité. 

L’offre est équilibrée entre les segments préparation, présentation et ingrédients et nous y tenons. Sur le segment “food”, nous prônons notamment une alimentation saine, gourmande et responsable. Nous avons donc renforcé l’offre terroir avec des fournisseurs tels que la Conserverie bretonne et Ducs de Gascogne, élargit le choix avec 50 produits d’épices (Terre exotique), et nous testons dans plusieurs boutiques la vente de café en grains moulu sur place. Cet univers se compose aujourd’hui à 100 % de marques de producteurs. 

Nous avons l’objectif de construire une offre cuisine plus responsable et plus belle, en la modernisant, avec une notion de concept-store. En 2019, nous avons par exemple mis l’accent sur les produits nomades et le zéro déchet et, surtout, nous jouons selon les règles d’un commerce puissant et massifié, avec des références moins nombreuses mais en plus grande quantité. 

Autre point d’importance, l’aspect humain, avec l’établissement d’une grande proximité entre les magasins et les services d’appui, et d’un dialogue entre les magasins et les acheteurs. 

Dans un souci d’homogénéité et une volonté de travailler à 360°, nous organisons des groupes de travail, pour réunir ceux qui connaissent les ventes et ceux qui connaissent les marchés. Des liens ont également été tissés entre Little Extra et Du Bruit dans la Cuisine, avec en particulier un séminaire en novembre dernier. 

Des transferts de savoir-faire s’effectuent dans les 2 sens, les forces de Little Extra étant la rapidité, l’agilité et la flexibilité. Je me rends moi-même deux fois par jour dans les magasins Little Extra et Du Bruit dans la Cuisine voisins de notre siège boulevard Sébastopol, je visite les salons professionnels et nos magasins : la valeur d’exemplarité doit partir du haut. Nous sommes pour l’heure satisfaits des résultats. 

Nous resterons sur notre ligne de conduite, fondée sur le triptyque organisation/ humain/produits, grâce auquel nos actions ont du sens.


Quelles sont les prochaines étapes de l’évolution de Du Bruit dans la Cuisine ?

L’optimisation du back office fait partie de nos axes de travail en 2020, pour préparer la phase de croissance sur nos deux réseaux : nous sommes pour l’heure 100 % succursalistes mais, demain, d’autres pourraient avoir envie de nous rejoindre ? 

Nous souhaitons également construire une offre renouvelée, avec davantage de rotations et de cohérence dans les collections, et lui donner une image plus accessible auprès des consommateurs. Le développement de collections spécifiques afin de nous démarquer est également un sujet pour l’enseigne. 

Je crois fermement au commerce physique, mais celui-ci n’a pas d’avenir sans le digital : ce chantier fait donc partie de notre feuille de route, pour “tricoter” les deux de la façon la plus naturelle possible, avec un travail sur la notoriété de la marque sur les réseaux sociaux et une refonte de l’e-shop de Du Bruit dans la Cuisine. 

Le développement de partenariats avec de bons fournisseurs est aussi à l’ordre du jour, car leur contribution à la réinvention de l’enseigne est essentielle. Enfin, nous créerons des passerelles entre Du Bruit dans la Cuisine et Little Extra, avec le placement de produits de l’un ou l’autre lors d’opérations saisonnières ou spéciales, pour ponctuer et enrichir l’offre de chacun. 

Le côté statutaire de Du Bruit dans la Cuisine et l’agilité de Little Extra sont complémentaires : nous pouvons mixer cela. Le panier moyen avoisine 30 € chez le premier, 15 € chez le second, mais en termes de fréquentation Little Extra draine trois fois plus de trafic. 

Pour conclure, l’engagement des collaborateurs des deux marques est la clé de la réussite. Le sens vertueux, ce sont des collaborateurs heureux, donc des clients et des actionnaires heureux. Notre combat entre fabricants, bailleurs, enseignes est également commun. Il faut donc trouver les énergies et les synergies pour réinventer notre commerce et satisfaire les nouvelles attentes de consommation. 

Un beau défi.



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CONTEXTE

Alors qu’elle faisait l’objet d’une procédure de redressement judiciaire depuis plusieurs mois, la société MDF Kitchen, basée à Saint-Jacques-de-la-Lande (Ille-et-Vilaine) et détentrice de l’enseigne du Bruit dans la Cuisine, a été reprise par Little Extra, dirigée par André Tordjman, depuis le 1er août dernier, sur décision du tribunal de commerce de Rennes. 19 points de vente sur 34 ont été préservés : Angers, Besançon, Brest, Dijon, Le Mans, Lyon, Carré Sénart, Montpellier, Vannes, Rennes, Alma, Rennes Colombia, Nantes Beaulieu, Nantes Atlantis, Pau, Beaugrenelle, Forum des Halles, Parly, Vélizy et Blagnac. Environ 150 salariés ont conservé leur emploi sur les 270 de l’effectif total. Pour rappel, MDF Kitchen détenait un réseau de distribution de 34 magasins en propre, principalement sis en centres commerciaux. Son chiffre d'affaires 2018 s’élevait à 39 474 000 €.

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