Frappé de plein fouet par le niveau du coût de l’énergie, l’univers de la verrerie est sous pression
Dossier
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Verrerie : grandeur, finesse et ... dégustation
Sur un marché où la hausse des coûts de l’énergie a fait flamber les prix, la profession mise sur une montée en gamme, avec des verres au buvant plus fin, des formes plus volumineuses, et des produits adaptés à chaque utilisation.
«Du point de vue consommateur, en dépit de la fermeture des restaurants, nous sommes sortis gagnants de la période covid, introduit Nicolas Bigot, responsable des ventes de La Rochère. En revanche, la guerre en Ukraine et l’augmentation brutale des prix de l’énergie nous ont affectés. »
En effet, l’industrie verrière est très énergivore et l’énergie impacte le prix de revient. « Nous avons subi de plein fouet tous les coûts logistique, carton, etc. et dû augmenter nos prix de près de 25 % en 18 mois, sans forcément répercuter toutes nos hausses de coûts, pour éviter d’affecter les volumes », confie Nicolas Bigot. Chez Leonardo aussi, cette année a été plus compliquée en termes de volume. Un phénomène « sans doute aussi lié à un équipement fort pendant dans les années covid », analyse Patrick Volant, responsable des ventes France.
« Nos prix ont augmenté sur deux ans, partage Olivier Brohan chez Ideco Paris, agence commerciale de Leonardo sur le marché français. La hausse du coût de l’énergie est telle que l’arrêt de production devient un levier : « Par chance, c’était l’année de réfection du four (tous les 5 ans), cela nous a permis d’économiser de l’énergie, reprend Nicolas Bigot. Nous avons cessé la production pendant trois mois et demi… Cela sauvegarde de la trésorerie. » Les profits souvent “dévorés” par l’énergie ont tendu la situation. Et les nuages politiques qui s’amoncellent jettent un froid. Le marché grand public enregistre un ralentissement à partir de mi-2022.
« Pour nous, l’incidence est relative,
car nous réalisons 60 % de notre chiffre d’affaires à l’export, nuance
Nicolas Bigot, dont la marque a bénéficié de l’augmentation du marché
Hôtellerie/restauration : « Des effets de restockage ont boosté notre
chiffre d’affaires en 2022, et aidé au 1er semestre 2023. » L’année qui
s’écoule est cependant à la stabilisation et les fabricants espèrent une
année prochaine plus saine « D’autant que nous avons un four tout neuf
qui redémarre ! », se réjouit Nicolas Bigot.
BESOIN DE LÉGÈRETÉ
« Une évolution très positive sur le marché des verres à pied, essentiellement à vin, tient au fait que des verres fabriqués par des machines
ressemblent à ceux soufflés bouche, ajoute Olivier Brohan (Leonardo).
« Nous souhaitons développer le retail en général, et nous faire connaître grâce à nos verres plus premium en CHR et sur le marché de détail. »
Aujourd’hui, les consommateurs apprécient un buvant très fin. Leonardo a par exemple développé la série Brunelli pour les connaisseurs et les professionnels de l’œnologie dans ce but. » Les prix de ces verres sont ainsi devenus accessibles. Zwiesel Glas a par exemple développé Duo, une nouvelle catégorie de verres, entre le 100 % mécanique et le 100% fait main : « Cette fabrication hybride s’inscrit dans la tendance à l’allégement du poids des verres », explique Philippe Guillon, DG de United Tables France.
Les nouvelles technologies permettent de répondre à la demande de verre light sans ralentir les process de fabrication. « Bien entendu, un produit partiellement réalisé à la main est plus cher que du 100 % mécanique, mais c’est là un verre haut de gamme à 29,90 € en magasin : nous présentons une qualité quasi soufflé bouche pour un prix abordable », fait valoir le dirigeant.
« Il y a deux ans, Spiegelau
a créé Définition, une collection de verres aussi légers et aussi fins que
des verres soufflés bouche mais beaucoup moins fragiles et deux fois
moins chers », rappelle de son côté Jean-Loup Ravinet (Ravinet d’Arc),
agent Spiegelau et Nachtmann. Et de souligner : Le plomb dans le cristal
n’est plus un argument. La mode est au léger. Et la brillance et l’élasticité
du cristal sans plomb ou cristallin est idéal pour satisfaire les impératifs
du professionnel de la restauration et du consommateur exigeant. »
STÖLZLE LAUSITZ VEUT DÉVELOPPER LE RETAIL FRANÇAIS
Avec la nomination d’un CEO il y a presque deux ans, Leopold Grupp, la stratégie du verrier autrichien, toujours très axée sur la qualité nerf de la guerre, s’appuie davantage sur le marketing. Cela passe par l’arrivée en mai 2023 d’une nouvelle directrice marketing, Anais Barak, Française basée à Berlin et le recrutement de deux autres personnes. « Nous axons beaucoup sur le Made in Germany et la bonne réputation de la fabrication allemande », avance Amélie Devys Goyat, qui souligne : Les produits Stölzle sont différenciants, avec un bon rapport qualité/prix, c’est un atout pour s’implanter ».
Le développement passe aussi par des nouveautés en termes de cocktails… « Et une coupe à champagne magnifique, qui peut servir de verre à cocktail ou de coupe à dessert. Et qui répond à une tendance à de plus grands formats pour déguster le champagne. »
« Aujourd’hui, les consommateurs apprécient un buvant très fin. Il est difficile de revenir à un verre plus épais une fois qu’on a gouté au verre léger ! »
ZWIESEL GLAS : UN TRAVAIL DE COMMUNICATION À RÉALISER
La marque Zwiesel Glas veut faire savoir qu’elle est capable de proposer des verres de 3,95€ à 115 €/pièce, et allant du mécanique au soufflé bouche taillé main bicolore. « En France, nous sommes plutôt connus par le prisme de l’entrée de gamme, alors que la marque a un fort potentiel, remarque Philippe Guillon. C’est la raison pour laquelle nous avons créé l’année dernière United Tables France, support commercial auprès de nos distributeurs et détaillants. »
La société vise à réaliser un gros travail de communication. Elle veut aussi renforcer sa présence sur les salons. En 2020, Zwiesel a opéré un virage en posant une distinction, créant deux marques : « Schott Zwiesel, notre marque entrée de gamme permet d’offrir à un public jeune des verres économiques et résistants. Zwiesel Glas est réservée à un moment plus précieux sans tomber dans l’élitisme trop prononcé », expose Philippe Guillon, qui se réjouit que cette complémentarité soit désormais installée.
UN COCKTAIL DE TENDANCES
Sur le vin également, Riedel France souhaite démontrer l’importance d’adapter contenu et contenant. « Notre credo, c’est le verre à vin de dégustation technique, souligne pour sa Victor Ulrich, directeur France de Riedel. Avant, le verre était plus décoratif que fonctionnel. La famille Riedel a révolutionné le marché en comprenant que le verre importe et qu’il faut l’adapter selon les cépages. »
Les bières aussi se dégustent en connaisseur. « Il y a un essor des bières artisanales depuis 10 ans. Nous sommes allés voir les brasseurs IPA aux Etats-Unis pour créer des verres adaptés qui gardent longtemps la bière fraiche », indique Jean-Loup Ravinet.
Amélie Devys Goyat, sales manager France de Stölzle Lausitz, pointe également le développement des verres à bières en formes plus premium, sur une jambe. La profession assiste également au retour du verre de couleur qui depuis 10 ans, avait perdu de sa force au profit de la transparence. « Nous assistons à un retour à un mix de couleurs, par exemple un verre avec un pied rose et un buvant vert », observe selon Olivier Brohan, pour qui il s’agit d’une tendance de fond. Nicolas Bigot (La Rochère) confirme : « Nous proposons une couleur en teinté masse, mais nous allons aussi tester des verres sprays pour le printemps. »
GUIDER LE CONSOMMATEUR
Aujourd’hui, la tendance va dans le bon sens, le consommateur recherche de plus en plus le verre adapté. « En fonction des appétences, aiguiller le consommateur et choisir les bonnes formes est essentiel », note Victor Ulrich.
Aujourd’hui, une marque est là pour le mieux pour le détaillant, en termes de marge et de communication. « C’est à nous, verriers, de guider le client et d’être force de proposition pour orienter le marché dans l’intérêt de tous, abonde Julien Le Breton, responsable commercial France Nude (groupe Pasabahce). A nous d’expliquer qu’une piste est possible techniquement, avec de nouveaux prix. Au magasin de changer son assortiment, tester, voir comment ça marche… Ensemble, nous devons réussir à changer la valeur perçue du verre, insiste Julien Le Breton. Le monde du verre n’a plus envie de produire des gros volumes ».
Plutôt que multiplier les ventes, l’homme prône les nouveautés, la mise en valeur des gammes. L’idée est de mettre le produit au milieu de la table, parler de son poids, son épaisseur, sa brillance : « Nous avons un verre très pur, c’est une valeur ajoutée. Montrer que c’est un verre de qualité, transparent, sans rayure. » Pasabahce, veut installer sa marque, se positionner davantage sur le medium, avec des mises en scène.
Leonardo s’apprête à répondre à la tendance qui se dessine sur les gros verres avec la collection Paladino qui sortira début 2024 en 540 ml et 630 ml (à partir de 5,95 €). La Rochère de son côté souhaite étoffer ses gammes et créer une nouvelle catégorie photophore/bougeoirs, une offre déco et objets cadeau cohérente avec l’art de la table. « Nous avons une marque qui plait, à laquelle les clients sont attachés et un réseau de distribution fidèle. Nous cherchons à étoffer et accessoiriser dans le sens des cadeaux. Avec aussi des projets de carafes et de nouvelles collections dans l’univers du bar. » Ainsi les verriers multiplient les propositions…à tester sans modération.