Pour attirer de nouveaux talents ou faire face aux nouveaux arrivants, de la conception aux choix de
Dossier
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"A table comme dans la mode, le total look manque de singularité"
Célia Jourdheuil et Aurélie Lapierre se sont spécialisées dans la création de tables d’exception. Autoproclamé “metteur en table”, le duo exerce son art sous le nom de Studio Cé, dans l’événementiel pour la création de dîners d’exception. Une offre qui séduit aussi le secteur CHR et les marques d’art de la table.
Comment est né Studio Cé ?
Célia Jourdheuil : J’ai créé Studio Cé en mai 2019 et Aurélie Lapierre m’a rejointe en tant qu’associée 6 mois plus tard. Issue du secteur de la production audiovisuelle et de l’événementiel, je m’apercevais que dans l’événementiel de luxe, les dîners des marques se ressemblaient beaucoup, avec une offre de location de vaisselle et de graphisme végétal similaire. Avec Studio Cé, nous avions envie de montrer qu’à travers un dîner et ce temps passé à table, il était possible de faire passer un message différent de celui de la marque voisine, notamment en poussant au maximum le soin apporté aux détails.
A table, le public est captif, puisque les convives s’y trouvent pour une heure et demie au minimum : durant ce laps de temps, l’enjeu consiste à procurer un effet “waouh” à la découverte de la table et à susciter les échanges entre les invités. Chez les Anglo-Saxons, il existe déjà des acteurs qui mettent en scène des dîners. Lorsque nous avons commencé à sonder les Français, on nous a longtemps répondu qu’ayant déjà les meilleurs chefs et la meilleure gastronomie (je suis un peu chauvine !) il était possible de se dispenser de réfléchir trop au decorum car le contenu de l’assiette faisait déjà l’objet d’une grande attention. Or, ce qui était vrai auparavant ne l’est plus. D’une part parce qu’il convient se renouveler continuellement, d’autre part parce que l’expérience d’un dîner passe, certes, par les mets, la gastronomie et les vins, mais aussi par l’environnement, la scénographie de table, l’art de la table, les fleurs, les petites attentions sur la calligraphie des noms, les menus, l’éclairage, l’accueil… Un dîner est expérientiel, et ne se résume pas à la seule gastronomie. Partant de ces constats, nous ignorions si un marché existait pour cette activité hyperspécialisée.
Nous étions pourtant convaincues qu’il y avait
des besoins en la matière, qu’il fallait effectuer un travail pédagogique
pour faire comprendre tout ce que l’on peut transmettre à travers une
table pour que les marques s’en saisissent. Nous sommes ainsi arrivées
avec une offre unique qui a convaincu. Avec l’influence des réseaux
sociaux, les clients veulent en effet des instants “instagrammables” pour
leurs invités : un repas ne doit pas seulement être bon car cela ne se
montre pas à l’image, il doit aussi être beau. Avec ce développement,
le look de la table fait l’objet d’un vrai travail. En outre, le secteur de
l’événementiel en général a considérablement évolué : si dans le passé
la tendance consistait à inviter un grand nombre de personnes et à être
moins précis sur les détails, les marques préfèrent désormais organiser
de petits événements, très pointus et très travaillés sur la scénographie
(table ou autre), préférant organiser cinq dîners de 30 personnes plutôt
qu’un seul de 200 convives.
Les marques recourent ainsi à Studio Cé pour mettre en scène un repas
selon un brief. Par exemple, dans le cas d’un lancement de parfum,
nous nous attachons à décrire l’univers coloriel et sensoriel de celui-ci sur la table. Nous travaillons avec plusieurs marques françaises de cosmétiques de luxe, pour lesquelles le made in France est primordial :
pour elles, nous dressons une table composée de produits fabriqués
en France : cela va de l’édition du tissu à la verrerie en passant par les
assiettes, etc. afin de raconter la même histoire qu’elles. Sensibilité à
l’écologie et au zéro carbone oblige, nous nous efforçons de travailler
autant que possible avec des fleurs de saison et des pépiniéristes dans
un rayon de 100 km autour de l’événement. L’important est d’être le
plus cohérent possible avec le brief et la marque, et de toute façon
ce sont des valeurs que nous défendons. Et le savoir-faire français en
matière d’art de la table et de décoration est fabuleux, il est à mettre
en valeur ! Il se trouve que les tendances induites par la pandémie de
covid-19 nous a donné raison. Studio Cé est aujourd’hui devenu notre
activité à plein temps.
Quelle signature apportez-vous à la table ?
Sur la table, c’est comme dans la mode, je trouve le total look dénué de singularité.
C’est en associant et mélangeant les genres, les pièces, le vintage et le contemporain, le moderne et l’ancien que nous créons un univers de table et apportons une personnalité à la scénographie. Tout le monde l’entend bien, mais n’a pas forcément le temps ou la patience d’aller dénicher le gobelet à eau chez une marque, le verre à vin, l’assiette à pain, le porte-couteau, etc., chez d’autres. C’est précisément ce que nous proposons en travaillant sur le projet et son ADN et en réalisant nos moodboards, en partenariat avec des chefs, des marques, des architectes d’intérieur… Nous mettons aussi un point d’honneur à trouver de jeunes talents (céramistes, maîtres ciriers, orfèvres, etc.) en France ou en Europe et à faire de la curation afin de leur donner de la visibilité en faisant apparaître leurs créations sur une table. Notre projet initial, créer un dîner correspondant à une collection susceptible de s’exporter dans le monde entier, en poussant la réflexion sur a scénographie jusqu’au bout, ne concernait que l’événementiel.
A l’arrêt forcé avec
l’épidémie de covid-19, nous nous sommes
alors rapprochées des grandes marques
patrimoniales françaises afin de leur expliquer notre activité. Nous avons ainsi fait des
séances photos dans les hôtels : nous proposions ainsi du contenu aux marques d’art
de la table, ce dont elles avaient besoin en
particulier en ce moment où tous les projets
étaient en stand-by. Au début, elles avaient
quelques réticences à prêter leurs produits si
ceux-ci étaient associés à d’autres pour ces
shootings. Or c’est précisément parce que
l’ADN de Studio Cé n’est pas le total look que
ses clients font appel à lui. Les marques se
sont laissé convaincre et ont apprécié. Nous
avons commencé à travailler pour certaines
d’entre elles qui nous demandent conseil en
raison de notre expertise dans l’événementiel
pour les aider à développer leurs collections.
Plusieurs groupes hôteliers qui avaient vu nos
tables pour le secteur événementiel se sont,
de plus, rapprochés de Studio Cé, afin d’être
accompagnés pour équiper leurs restaurants
en vaisselle et pour la réalisation de tables.
C’est ainsi que nous nous sommes lancées
dans l’achat d’art de la table pour le secteur CHR, une voie que nous
n’avions pas envisagée au départ. Nous travaillons ainsi avec des hôteliers ou des architectes d’intérieur.
Quelles sont selon vous les composantes d’une table réussie ?
Elle doit répondre à l’identité et aux valeurs de la marque, aux messages véhiculés qui ne sont jamais les mêmes. Une table réussie surprend, par l’abondance, la couleur ou encore l’expérience. Nous poussons les détails très loin. Nous avons par exemple créé une table de 30 m en serpentin pour 100 convives, en monochrome de vert pour une marque horlogère ; chaque convive avait une petite paire de ciseaux pour prélever ses aromates dans le centre de table comestible afin d’agrémenter les plats élaborés par le chef Tom Meyer. Contrairement à la restauration, pour l’événementiel peu importe la fragilité : il faut surtout que ce soit harmonieux, élégant et jamais vu ! Nous respectons les codes de la table française mais nous aimons les twister et jouer avec, sans hésiter à détourner les objets et à être disruptif, toujours dans cet objectif de surprendre, sans se poser de limites, quitte à bousculer parfois les habitudes des maîtres d’hôtel.
C’est aussi ce que les marques apprécient chez Studio Cé. La table est une
scène sociale par excellence, en particulier
en France, et c’est la mission du metteur en
scène d’identifier toutes les compétences et
spécificités de chacun, de trouver les meilleurs
éléments, découvrir les talents et de les assembler sur un projet : c’est ce mélange qui
rend le projet est unique.