Le couteau a changé de statut. De simple objet utilitaire, il est devenu beau, se veut davantage pré
Après deux années fructueuses, le couteau de cuisine reste un marché porteur. S’il a subi la hausse de ses matières premières et des délais de livraison allongés, il reste cependant un élément incontournable, à accompagner de services et d’un conseil avisé.
« Nous venons de vivre des années assez fastes, durant lesquelles les consommateurs ont davantage cuisiné, et les couteaux de cuisine ont profité de cet élan, résume Laurent Fleurot, responsable marketing de H. Beligné & Fils, distributeur, entre autres, de Victorinox. Le volumes des ventes en 2020 et 2021 suggèrent en effet que les ménages se sont équipés. « Depuis l’épidémie de covid-19, la demande a fortement augmenté chez nous, constate pour sa part Omar Gonzalez, responsable marque d’André Verdier, même s’il a noté une réduction de la demande des petites boutiques. En effet, le couteau a parfois été victime de son succès… Emmanuel Dubs, directeur général de Zwilling Staub France, renchérit : « Les produits de cuisine, dont les couteaux, ont bénéficié de croissances de marché pouvant dépasser 30 %. La question d’un point de vue fournisseur est devenue : “Allons-nous répondre à la demande ?” »
La crise a modifié le rapport au travail : « Nous assistons à une réappropriation de l’espace maison, les individus ont envie de profiter de la vie et les couteaux de cuisine deviennent un élément fort », note Christian Valat, dirigeant de Laguiole en Aubrac. « Après une année 2020 exceptionnelle, où notre chiffre d’affaires a grimpé de 20 % par rapport 2019, nous observons encore une belle progression, note pour sa part Michel Hourvitz, directeur commercial Kai France. En 2021, nous avons progressé par rapport à 2020 et pour 2022, nous enregistrons déjà + 10 % à fin août. La demande est très forte et nos usines font leur possible pour augmenter leur capacité de production. »
Un approvisionnement compliqué
« Beaucoup d’enseignes font le choix des marques pour lesquelles il n’y a pas de problèmes d’approvisionnement », remarque Laurent Fleurot (H. Beligné). Certaines marques prévoyantes ont stocké des matières premières quand d’autres, un peu plus régionales, vont passer en second plan pour la livraison. « Les points de vente tels que les GMS rationnalisent leur choix : avec le prix, le look et l’efficacité, le 4e critère est la disponibilité. » Guillaume Pranal, responsable marketing et produit de Rousselon Dumas Sabatier, connait ces problématiques : « Il y a eu quelques ruptures sur des articles, dont les aciers sont spécifiques, mais nous sommes revenus à une situation normale en termes d’approvisionnement, au moins sur la partie sourcing en Asie. Sur la partie négoce, les délais s’allongent. La situation est différente sur les deux activités. Quand il faut trouver le personnel, sourcer la matière etc., c’est plus compliqué. »
Deejo investit la cuisine
Du couteau de poche, Deejo est passé au couteau de table, et investit cette année la cuisine. « Logiquement, tout le monde se sert d’un couteau à saucisson, par exemple, et nous avons eu envie de faire une incursion sur ce qui est utilisé par tous, explique Luc Foin, directeur général. Nos couteaux d’office sont proposés par deux : une lame micro-dentée et une lame fine pour ciseler, et en deux bois différents. » La marque propose trois collections : japonaise, blossom (fleurie) et Art déco. L’offre existe aussi sans tatouage, même si « neuf ventes sur dix concernent des couteaux tatoués. Nous avons lancé les 4 coffrets en janvier dernier. L’implantation a commencé au 2e trimestre 2022, dans les concepts stores, les magasins déco, Le Bon Marché et les Galeries Lafayette, Culinarion, Ambiance & Styles, etc. Dans les magasins de cuisine où nous sommes présents, nous le proposons ». La marque qui a souhaité se distinguer dès son lancement reste sur sa ligne : « Là où les autres misent sur la tradition et une présence centenaire, nous avons misé sur la personnalisation. »
Des coûts augmentés
Les hausses de prix des matières premières, des transports, des salaires et l’inflation se sont cumulées… « C’est la première fois depuis 2021 que nous avons été obligés de refaire nos prix en milieu d’année, confie Omar Gonzalez (André Verdier). Nous avons dû les revoir 4 fois dans l’année ! » Mais il note que les clients se montrent compréhensifs, d’autant que la marque réduit ses prix quand ses coûts baissent : « En 2020 et 2021, nous avions diminué les prix pour certains de nos produits, car nous avions investi dans des outils plus performants. » Kai a également procédé à une révision : « Nous relevons très modérément nos prix : 4 points d’augmentation en avril, car nous n’avions pas augmenté avant, avance Michel Hourvitz. Et de souligner : Nous pouvons justifier – hausse des matières premières, du coût du transport – nous ne tirons pas profit de la situation. » Noël qui reste un moment de forte consommation approche, mais les acteurs du marché s’attendent, en début d’année, à revenir à une situation plus normale.
Ecoresponsabilité et design
Pendant le confinement, les consommateurs ont en outre réalisé qu’ils étaient mal équipés et se sont orientés vers des produits de qualité. « Quand le client achète ce type de produits, il en veut davantage. Souvent, il a acheté les essentiels – couteau d’office, etc. – et va compléter », note Laurent Fleurot, pour qui la tendance consiste à poursuivre l’équipement dans les gammes choisies – écoresponsable et design, avec des looks japonisant ou scandinave. Guillaume Pranal met en avant plusieurs approches. « Parfois les acheteurs ont changé leur bloc pour d’autres, d’import (Lion Sabatier International) ou made in France (Lion Sabatier). Mais nous avons vu surtout progresser l’open stock, le couteau à l’unité. »
Les consommateurs complètent le top 5 (couteau de chef, à pain, à découper ou santoku, d’office et universel). « Nous avons vu une belle progression des couteaux à steak », cite notamment Guillaume Pranal.
Le couteau japonais : un succès confirmé
Une aura s’est créée autour du couteau japonais, notamment par le biais d’émissions TV, que remarque aussi la société Beligné qui a la distribution de couteaux made in Japan sous la marque Sataké.
« La philosophie végétarienne joue peut-être dans la progression du santoku : les consommateurs l’utilisent beaucoup pour émincer. » L’exotisme et la précision culinaire ont créé un développement sur ce couteau. « En France, aucune marque n’a su provoquer une telle mode, et pourtant nous sommes le pays de la gastronomie, observe Christian Valat, dont la société possède une douzaine de magasins : « Nous sommes le plus gros vendeur de couteaux Kai et japonais. Ma gamme représente un beau chiffre… mais inférieur. »
A chaque usage son couteau
L’essor réside aussi dans les différents types de couteaux. « Les clients réalisent qu’il existe une variété de couteaux dédiés à des usages : trois rien que pour le poisson : suédois, saumon, alvéolé ou non, pointe Guillaume Pranal. Cela fait partie de l’éducation en tant que manufacturier ou pour le point de vente, de mettre en évidence cette richesse et l’importance d’être bien équipé. »
Car un potentiel est là : transformer des cuisiniers en connaisseurs, « en passant par la PLV, et un discours de vente pour montrer le geste. On voit de plus en plus de tutoriels et d’influenceurs food qui montrent le geste, la forme de la lame, la flexibilité, les caractéristiques. Notre parti pris est de proposer une profondeur de gamme suffisamment large ».
Déglon : la personnalisation version My. D
Deglon propose de personnaliser son offre avec le concept my.D, qui permet au client de co-concevoir son propre couteau en utilisant un configurateur 3D. Il choisit lui-même les formes et matériaux des composants. Il peut en outre personnaliser la lame et le rendre unique (à travers la configuration et la personnalisation). Le produit est fabriqué à l’unité, de manière artisanale, à Thiers. Il est fabriqué “minute”, à la commande. La société se donne une dizaine de jours pour le fabriquer et l’expédier. Les bois sont issus d’exploitations certifiées, les aciers viennent de France et les produits sont 100 % made in France. La conception et le design de la série sont issus d’un travail de co-conception entre les salariés de l’usine. Les produits sont garantis à vie.
Entretien et personnalisation
Une autre mission est de conseiller sur l’entretien de ces produits. « Si vous vendez des couteaux, il faut un service d’affutage, souligne Christian Valat (Laguiole en Aubrac). Tous nos magasins en disposent, cela attire des clients. » Cette option se développe. La coutellerie Déglon propose pour sa part Affil-Service, un service de réaffûtage et de recrantage à ses revendeurs et aux utilisateurs finaux désireux de poursuivre le cycle de vie de leurs couteaux.
Alice Délice prend également des engagements vis-à-vis de son offre couteaux et propose une aide au choix, présente en boutique (dans les vitrines couteaux), pour les différents usages ainsi qu’une aide au choix sur le bon aiguiseur. L’enseigne mise sur l’entretien des couteaux, avec notamment le service affûtage qui est déployé fin septembre dans l’ensemble de ses magasins.
« La coutellerie est une famille de produits, ou les différences de qualité peuvent être très importantes, et de façon encore supérieure à ce que les consommateurs peuvent imaginer, fait valoir pour sa part Frédéric Moyon, directeur commercial France d’Arcos. Beaucoup d’acheteurs qui ont investi en boutiques spécialisées dans la coutellerie de qualité pendant ces deux dernières années déclarent avoir été agréablement surpris par un niveau de performances qu'ils découvrent. Ils ne veulent plus faire machine arrière et reviennent en magasin de ce fait en plus grand nombre que ce que nous pouvions espérer. Le couteau est un outil essentiel en cuisine, et quand on a goûté au plaisir d'une coupe premium, on ne supporte plus un couteau qui ne coupe pas correctement. D'où également le boom de l’affutage pour améliorer les anciens couteaux en stock dans le tiroir !
Arcos propose d’ailleurs à ses clients qui souhaitent mettre en place une prestation d’affûtage, une machine conçue uniquement pour cela. Elle permet d’obtenir un résultat de haute qualité sans formation spécifique. »
Repenser sa gamme et ses façons de faire
« Chez nous, la croissance est soutenue, mais nous restons vigilants sur la façon dont la situation va évoluer, commente Guillaume Pranal, qui rappelle que la création d’acier est très énergivore. Un paramètre qu’Emmanuel Dubs (Zwilling) intègre également à sa stratégie. Le challenge de sa société est de repenser ses façons de faire.
« L’objectif est de revoir les méthodes de production, en récupérant l’énergie de nos fours, mais aussi en travaillant les packagings, par exemple en utilisant de l’amidon de pomme de terre pour faire des boîtes. De même, nous n’utilisons que du bois certifié FSC pour nos blocs et nos planches. De plus, nous retraitons l’eau de nos usines », cite le dirigeant.
« Chez Laguiole en Aubrac, nous sommes au début d’un projet, confie Christian Valat. Nous avons une identité, il nous reste à créer une gamme. Notre fer de lance est de développer le couteau de cuisine en prenant en compte les éléments nouveaux, pose le dirigeant, qui souligne que le couteau de cuisine représente 15 % de son chiffre d’affaires.
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