Couverts : l'heure est au style et à la durabilité

Le marché des arts de la table a de nouveau progressé en 2023 en France atteignant 1,1 milliard d’euros HT pour les ventes (+10%, versus 2022) selon les derniers chiffres de l’Observatoire Francéclat paru en mai 2024. 

Une bonne nouvelle qui a profité à quelques segments de produits tandis que celui de l’orfèvrerie, couverts et couteaux est resté quasi à l’équilibre (- 2 %) à 250 millions d’euros. Et selon les maisons et les positionnements, l’année écoulée n’a pas été trop mauvaise pour l’univers des couverts. 

« Le segment Horeca a connu une certaine stagnation en 2024, mais nous prévoyons une croissance en 2025, même avec la crise actuelle, souligne Mario Machado, directeur commercial de la société portugaise Belo Inox. En ce qui concerne le commerce de détail spécialisé, nous espérons que la résolution de certains conflits internationaux favorisera la fin de la retenue dans la consommation. » 

Plus enthousiaste, la société Sabre Paris a plutôt performé. « 2024 a été une nouvelle année de conquête, confie Francis Gelb, président et fondateur de l’entreprise. Nous terminons l’année à plus 25% avec une part d’export autour de 90%. Le chiffre a été tiré par le digital qui a fortement progressé et l’ouverture de deux boutiques ateliers (voir encadré), l’une dans le Marais à Paris et l’autre à Londres. Nous sommes très optimistes pour 2025, qui verra l’ouverture de deux autres boutiques ateliers en Europe, une progression du digital et une accélération de nos marchés wholesale en Europe après avoir restructuré notre distribution. » 

Tandis que sur le segment haute orfèvrerie, la maison Ercuis tire toujours son épingle du jeu. « Les ventes des détaillants sur les couverts ont été globalement bonnes grâce à quelques ventes exceptionnelles réalisées auprès de clients prestigieux, confirme Antoine de Rémur, directeur des opérations. Ceci a permis de compenser une relative atonie du marché ressentie dès le printemps 2024. Les perspectives pour 2025 s’inscrivent dans la même tendance qui est un mouvement de fond. 

Les consommateurs semblent être ainsi moins enclins à la dépense pour les produits de consommation courante, dont ils repoussent l’achat à défaut de le réaliser en faisant le choix du prix au détriment de la qualité. A contrario, les produits qui représentent un investissement dans la durée, ou qui apportent par leur prestige et/ou leur personnalisation une véritable valeur sur la table, restent des valeurs sûres avec des ventes attendues en hausse cette année encore. La force des marques n’a jamais été aussi importante pour renforcer ou contrarier ces tendances de marché. »

COULEURS ET EFFETS MÉTALLISÉS

Une chose est certaine, malgré l’inflation, l’intérêt des Français pour les arts de la table reste marqué. « L’une des forces du marché réside dans le caractère protéiforme des produits proposés aujourd’hui, explique Hervé Buffet, délégué général de Francéclat. Entre fonctionnalité et décoration, entre déjeuner du quotidien et expérience culinaire partagée, sans oublier l’essor des maisons de luxe et l’emprise de l’hôtellerie-restauration, les tendances et les usages sont d’une grande diversité. Sans compter le fait que le marché est aussi porté par les réseaux sociaux et les magazines de décoration. » 

De quoi donner toute liberté aux marques de s’exprimer et aux couverts de tirer leur épingle du jeu. « De la couleur, du dépareillé et beaucoup de liberté dans la composition des ménagères. Je ne suis plus très certain qu’il existe encore un schéma classique d’achat de couvert, tout du moins pas chez Sabre », confirme pour sa part Francis Gelb chez Sabre Paris. De fait, tout semble aujourd’hui possible entre combinaison de jeux de couleurs, effets de textures, mélanges de matériaux, voire mix entre anciennes et nouvelles collections. Reste à chaque société de développer et valoriser son propre savoir-faire. 

« Les perspectives pour 2025 sont encourageantes, annonce de son côté Marcel Yvars, directeur France et DOM-TOM chez Casa Bugatti. Malgré un contexte international incertain, nous prévoyons une poursuite de la croissance, portée par le succès de nos produits. Les ventes de notre gamme couverts colorés, en particulier le modèle Glamour, ont enregistré une hausse de 8% en 2024. De plus, notre politique commerciale, axée sur la protection de nos détaillants et l'offre de produits exclusifs, devrait continuer à stimuler les ventes.»

JEAN DUBOST : L’ÉCOCONCEPTION AU CŒUR DU SAVOIR-FAIRE

La manufacture Jean Dubost a une longue histoire dans la fabrication des couverts haut de gamme avec des collections iconiques telles que le modèle Bambou véritable (photo), plébiscité depuis des décennies, en particulier aux Etats-Unis. Depuis plusieurs années, l’entreprise a beaucoup innové en termes d’éconception, en particulier avec les couverts Bistrots à la française Sense floreal, les couteaux de table Le Thiers 2.0 Sense Black Edition (deux gammes en matières plastiques 100% recyclées et recyclables, issues de l’économie circulaire) ou encore en proposant des collections de couverts aux manches en chêne ou hêtre certifiés PEFC.

« L’heure est aux tendances colorées et métallisées, assure de son côté Brice Visart, directeur des opérations chez Eternum, spécialiste du couvert. En 2025, nous proposons de nombreuses nouveautés. » Parmi celles-ci, place à un manche mosaïque (ligne Trevi), des designs atypiques (ligne Manta avec sa tige pliée puis soudée qui montre le savoir-faire et l’expertise de la maison), tandis que la ligne Anzo en PDV, déjà déclinée en métal champagne, cuivre et noir adopte des reflets bleus (Blue Velvet). 

De fait, la tendance PDV (physical vapour deposition, en anglais) qui donne aux objets des couleurs et des nuances exceptionnelles, séduit déjà le marché depuis quelques années maintenant. Son process unique, qui consiste à déposer des particules métalliques par vaporisation dans une chambre à vide, confère au matériau une plus grande dureté et une plus grande résistance au frottement et à la corrosion, empêchant ainsi la formation de rouille ou d’oxyde. 

« Ces dernières années, nous avons investi dans les revêtements, en utilisant la couleur et les propriétés uniques de certains matériaux pour ajouter de la couleur et de la valeur aux produits, ajoute Mario Machado (Belo Inox). Le PVD notamment offre de multiples possibilités de couleurs et la galvanisation or et argent continuent d’être notre pari pour enrichir les tables de nos clients en direct de notre usine de Guimarães, au Portugal depuis 70 ans. »

JOUER LA CARTE DU MADE IN FRANCE ET EUROPE

De fait, dans les habitudes d’achats des consommateurs, beaucoup regardent de plus en plus les conditions et les lieux de fabrication ainsi que l’impact des matériaux utilisés. 

« Nous observons une évolution des habitudes d’achat vers des articles plus durables et esthétiques, note Marcel Yvars (Casa Bugatti). Les consommateurs sont de plus en plus sensibles à l’origine des matières premières et à l’impact environnemental des produits. » 

Dans cette optique, de nombreuses maisons mettent l’accent sur plus de transparence et valorisent leur bonne pratique. 

Chez Degrenne où les couverts sont toujours fabriqués dans l’usine de Vire (Normandie), soit plus de 100 t d’acier par an pour produire ceux-ci, 70 % de cette matière première est un acier recyclé. 

Tandis que 100 % des chutes d’acier après production à Vire sont récupérées pour être fondues et revendues. De quoi valoriser le made in France et donner des arguments de vente supplémentaires aux points de vente de la maison française. 

« Les consommateurs européens sont de plus en plus enclins à acheter des produits qui viennent d’Europe, qui sont de qualité certifiée et dont la composante écologique est respectée, confirme Mario Machado (Belo Inox). Je pense qu’il est primordial de montrer aux consommateurs l’origine des articles. » Un argument supplémentaire qui peut faire la différence en boutique face à la concurrence asiatique et les petits prix attractifs.

SABRE PARIS : DES BOUTIQUES ATELIERS POUR CUSTOMISER SA TABLE

Depuis janvier 2024, Sabre déploie un nouveau concept de boutique à mi-chemin avec l’atelier. Après Paris et Londres, c’est Munich (fin du premier trimestre 2025) qui fera l’expérience de ce lieu hybride. Unique, chacune des nouvelles adresses permet d’observer les collections exposées à la verticale sur un mur entier mais aussi de piocher dans une série de pots et des dizaines de coloris : tartineurs, pelles à tarte ou couteaux à fromage, etc. Le plus ? Entre personnalisation et secrets de fabrication, une machine à riveter a été installée pour permettre dans chaque boutique atelier l’assemblage des produits configurables sur place. Une nouvelle façon pour Sabre Paris de continuer à bousculer les arts de la table.

DES COMPOSITIONS PLUS PETITES

Enfin, autre évolution marquée, et non des moindres, les consommateurs achètent des couverts en moins grande quantité. Un constat dressé chez de nombreux détaillants et relayés par les marques comme Belo Inox. 

« Les plus jeunes consommateurs optent pour des sets de couverts aux compositions plus petites, de 20 ou 24 pièces, confirme Mario Machado. En cause : les familles moins nombreuses et l’habitude de manger au restaurant, tout cela stimule la vente de petits sets, car ce type de consommateur a perdu l’habitude des grandes tablées ou n’a pas la place. 

Nous pensons cependant que ces habitudes referont rapidement partie intégrante de nos vies et que nous aurons à nouveau envie de nous retrouver autour d’une grande table. » 

Même constat en orfèvrerie où les usages évoluent. « L’orfèvrerie a vécu des changements majeurs ces dernières années, notamment avec la disparition des listes de mariage, car la ménagère est en effet passée un peu de mode, souligne Antoine de Rémur (Ercuis). Les couverts en argent ou métal argenté sont perçus par les jeunes générations comme parfois un peu “datées” et nécessitant un entretien contraignant, ce qui n’est pas forcément le cas. Pour autant, le goût du beau et d’une table bien dressée n’a pourtant pas disparu, loin de là. Ce sont les usages qui se décomplexifiés, on n’hésite plus à mélanger les styles, les époques. Et quand on s’offre des couverts, c’est souvent sur une descente plus courte, davantage adaptée à notre mode de vie actuel. »