Le champagne et plus généralement les vins effervescents ont besoin de place pour s’exprimer. La forme sphérique constitue l’écrin idéal pour ne pas passer à côté des éléments qui en composent la subtilité.
Fuselée, elle permet d’admirer l’ascension des bulles. Associée
au champagne et porteuse d’un caractère festif dans l’imaginaire
collectif, la flûte réduirait pourtant considérablement
l’intérêt de la dégustation. Certains sommeliers et verriers en
sont convaincus, et prônent un service dans des verres aux calices à
l’arrondi généreux, notamment à l’heure où le champagne gagne ses
lettres de noblesse dans la gastronomie. Car le verre contribue à une
meilleure appréciation du vin, donc procure une meilleure émotion
chez les convives… potentiellement génératrice de meilleures ventes.
Explications
Une bulle pour trois sens
En œnologie, l’effervescence est source de plaisirs visuel, olfactif et gustatif. Car c’est bien la bulle, outre l’agréable contemplation qu’elle procure, qui porte les arômes du vin. Or, s’il y a bien une notion importante en gastronomie, c’est précisément celle du plaisir. « La flûte est une vision réductrice de la dégustation et n’est qu’un tube dans lequel le champagne est versé », estime Philippe Jamesse, sommelier au domaine Les Crayères à Reims (France). Le breuvage étant comprimé, il lui est impossible de se déployer sur le plan aromatique au-delà de 10 à 20 % de son potentiel. C’est désaltérant, effervescent, mais simpliste. Utiliser un verre à vin change 100 % de la perception. » Convaincu qu’un « contenant étriqué, radical ou anguleux » nuit au champagne, Philippe Jamesse a longtemps recherché des verres correspondant à son approche de la dégustation et a fini par aller jusqu’au bout de la démarche en créant ses propres verres en collaboration avec le verrier rémois Lehmann, pour obtenir un contenant généreux avec l’effervescence. Un verre arrondi qui rappelle une goutte d’eau ou une tulipe refermé. « L’intérêt est aussi de mettre en lumière les efforts réalisés à la vigne en termes d’expertise humaine et de développement du potentiel du vin, le travail du sol afin de faire plonger le système racinaire de la vigne pour recueillir un maximum d’ADN terroir pour un résultat pur et équilibré, poursuit Philippe Jamesse. Cette notion identitaire ne fera que s’accentuer dans les prochaines années. »
Verre peu rempli, dégustation optimisée
A la manufacture allemande Riedel, les équipes sont depuis longtemps
persuadée de l’intérêt de servir les vins effervescents dans des verres à vin. Son modèle Veritas New World pinot noir est d’ailleurs
plébiscité par la maison Dom Pérignon pour la dégustation
de son champagne rosé. « Idéalement, il convient de verser 12,5 cl
dans un calice de 44,5 cl, indique Philippe Guillon, directeur de
la filiale France de Riedel. L’espace vide permet le déploiement des
couches aromatiques. Un verre bien rempli ne laisse pas de place à l’olfaction.
» Or, dans le secteur CHR, c’est peut-être là que le bât
blesse, notamment lors de la vente de vin au verre. « Lorsqu’un
convive commande un verre – 12 cl pour le champagne –, il s’attend
à le voir “bien rempli”. Un service dans un verre de 45 cl, voire 75 cl
pour Synergie, peut l’amener à se questionner », analyse Clémentine
Cuney, responsable marketing de Lehmann. Nous avons donc développé
des verres mécaniques et soufflés bouche d’une contenance de 30 cl
pour permettre la libération des arômes. » En outre, la dégustation dans
un grand verre permet d’obtenir un rendu de l’effervescence plus
doux, la largeur du buvant ayant bien entendu une incidence sur
l’arrivée en bouche, rendue ainsi plus délicate, donc un vin plus savoureux
et digeste. Un travail de sensibilisation des convives revient
donc aux sommeliers ou aux équipes de salle pour faire comprendre
l’intérêt d’un grand verre pour la dégustation. « Loin d’être un centre
de coût, le verre est au contraire un investissement qui permet de mieux
vendre son vin », commente Philippe Guillon.
Trois critères pour l’expression de la bulle
Autre paramètre déterminant : la forme du verre. Un fond plat n’induit
pas un tourbillon homogène. Un fond pointu ou poinçonné, point d’accroche de l’effervescence, revêt un intérêt visuel. Pointu,
« il laisse les bulles libres de naviguer selon leur schéma naturel, sur des
axes transversaux », précise Philippe Jamesse. La bulle monte en spirale,
de façon gracieuse et précise. Le point de mousse fait la part
belle à l’esthétique, laissant la possibilité au dégustateur d’opérer un
mouvement de rotation du liquide. Un calice élargi permet à l’effervescence,
libératrice d’arômes, de prendre une expansion latérale,
« en cohérence avec la nature du liquide, souligne Philippe Jamesse. Un
verre étroit à l’inverse produit un effet de compression du gaz carbonique,
donc ne génère aucun effet optimum. » Enfin, un renfermement doux
et progressif évite la déperdition de gaz… donc d’arômes !
Si l’investissement dans de grands verres à vin effervescent constitue
un frein, une solution alternative réside dans un service dans de
grands verres à Bourgogne, par exemple.
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