Dossier

Le charme discret du magasin

27 janvier 2020
Par : Samia Ouledcheikh

La croissance des ventes Internet parait l’avoir reléguée à un second niveau : pourtant la place du magasin demeure essentielle, même si elle revêt des formes diverses. Le plus souvent, boutiques et sites internet se répondent et se complètent.

Alors que le consommateur accède à une offre pléthorique depuis son domicile et que l’e-commerce aurait franchi le cap des 100 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2019 (source : Fevad), se pose la question de la place du commerce physique. « Il y a un constat de l’augmentation des ventes sur internet, via des sites pure players ou des boutiques qui ont un site ; mais au-delà des ventes sur le web, ce qui change est aussi le recours à internet pour regarder ce qui se fait, note Emmanuel Le Roch, délégué général de Procos (fédération représentative du commerce spécialisé), qui pointe les notions d’influenceurs, de réseau social et d’avis client. 

Autant que faire se peut, il faut aussi exister, plus ou moins, en matière de digital. Et même si tout le monde n’est pas condamné à créer un site de vente, il faut être attentif à apparaître dans les recherches sur Google. »

 Ce qui amène au 2e sujet, crucial selon Emmanuel Le Roch : qu’est-ce que je vends, et en quoi est-ce différenciant ? C’est sur ce point-là que mise Cookut. « Dès le début, en 2012, alors que l’e-commerce existait déjà, nous avons choisi de privilégier le canal du réseau indépendant des boutiques et la défense du commerce local », explique Grégory Maitre, fondateur de Cookut. De nombreuses boutiques parlaient des sites tels qu’Amazon, au minimum s’interrogeaient, voire s’inquiétaient. La marque décide alors de soutenir ces points de vente, notamment par l’action commerciale, en consacrant un budget important aux agents commerciaux, plutôt qu’au site Internet : « Nous nous sommes développés jusqu’à compter 1 000 revendeurs en France, avec l’idée de les aider à développer leur activité. » « Le conseil vendeur fait partie des attentes sur l’univers PEM, et le rôle du point de vente consiste à engager le shopper », Maud Pallandre, responsable marketing de KitchenAid petit-électroménager.



Principal atout : le développement de produits originaux

« Sur internet, la personne renseigne l’objet de sa recherche. Nous voulons inverser le phénomène et offrir, avec des produits tels que le shaker à crêpes ou la raclette à la bougie, le plaisir de découvrir et de se laisser surprendre, souligne le dirigeant de Cookut. L’idée est de proposer une gamme qui apporte de la nouveauté, afin d’aider à générer du trafic. » Pour accompagner les boutiques dans leur progression, la marque a également créé We are store : « C’est un partenariat avec un prestataire de communication, ainsi qu’un city-tour dans des villes européennes, telles que Stockholm ou Londres, explique Grégory Maitre. Les boutiques sont particulièrement en recherche d’échanges. Le voyage permet à une quinzaine d’entre elles d’aborder les questions du personnel vendeur, du site Internet ou des e-mailings. » 

Car un responsable de boutique a beaucoup à gérer : « Un commerçant, c’est quelqu’un qui fait des choix, souligne Emmanuel Le Roch. Il se positionne sur une largeur de gamme et un niveau de qualité. » Un travail d’autant plus important à une époque où le consommateur peut tout faire de chez lui : « Il faut savoir ce que le client vient trouver dans le magasin, et ce qui lui donne envie d’y revenir… y compris quand il n’achète pas. » Car une donnée est entendue : le point de vente ne peut plus réunir la plus grande offre. Alors, deux de ses valeurs ajoutées sont la relation et l’expérience shopping. 

L’agence Saguez & Partners a d’ailleurs baptisé “hosping” cette nouvelle fonction du magasin, qui n’est plus seulement transactionnelle, mais vectrice de lien social.


Un commerce physique d’un genre nouveau

Un phénomène que Leïla Erdmann, fondatrice de La Maison française (voir Offrir International n°469 ou en ligne ici), parait avoir mis en oeuvre. Son point de vente d’Aix-en-Provence comprend 80 m2 de boutique et 120 m2 de salon de thé/espace restauration. 

Avec, dès l’entrée, une mise en scène de la table : « Il existe notamment une clientèle étrangère qui vient avec ce fantasme de l’expérience shopping, remarque la dirigeante. Nous souhaitons traduire quelque chose d’expérientiel pour notre marque de tradition à la française. Au-delà du décor, nous avons voulu des équipes de vente d’un bon niveau. Par exemple, notre responsable produit, qui a eu un parcours journalistique, est capable de faire le story-telling du produit auprès du client. » 

Une boutique, c’est aussi le contact à l’objet : sur un site internet, même en essayant d’être proche du produit, pour les objets de décoration et la gastronomie, cela reste une expérience digitale. 

L’inconvénient est le manque de contact, une possible frustration, tandis qu’en boutique, le retour est immédiat. « Le magasin permet d’avoir une visibilité à l’échelle de la population d’une ville, pointe également Gauthier Decarne, cofondateur de Q de bouteilles. La marque, qui a ouvert sa première boutique à Saint-Valéry-sur-Somme, envisage d’ouvrirun deuxième point de vente, à Lille, en septembre 2020. « Si cela fonctionne, nous ouvrirons peut-être ensuite d’autres boutiques. L’idée est vraiment d’avoir un magasin en propre, monomarque. Avec, pourquoi pas, des animations, comme la gravure personnalisée, ou proposer à un fleuriste d’installer un corner ? »



Stratégie multicanale

Lancer une marque multicanale, cela faisait partie de la stratégie de La Maison française dès le début. Son idée : investir internet pour toucher tout un chacun, et proposer une expérience client totale, de la commande à la réception. « Assez rapidement, l’idée est venue de se déployer avec un commerce physique d’un genre nouveau et, surtout, en centre-ville, malgré les contraintes économiques que cela représente, précise Leïla Erdmann. J’ai l’impression que les marques ont intérêt à être sur les deux canaux. » 

Mathon mise également sur le multicanal et ouvre régulièrement des boutiques éphémères. « Celles-ci répondent à trois objectifs, explique Corine Favre, directrice générale. D’abord, elles nous permettent d’aller à la rencontre de nos clients, dont certains étaient frustrés, même si nous avons une boutique permanente à l’entrepôt qui fonctionne bien. Elles nous aident aussi à faire connaitre Mathon et mathon.fr. Pour inciter les consommateurs à faire un tour sur notre site internet, nos vendeurs en boutique précisent systématiquement qu’il y a davantage de produits sur l’e-shop (nos sacs sont d’ailleurs marqués “mathon.fr”). 

Enfin, ces magasins répondent à un objectif de chiffre d’affaires complémentaire. » Corine Favre insiste : l’expérience client ne s’arrête pas lorsque la boutique ferme. L’assortiment y est réduit : 500 références en magasin versus 5 500 sur internet. Et si l’entreprise réalise 35 % de son chiffre d’affaires avec les marques de distributeurs, cette proportion atteint 90 % en boutique. Mathon a déjà ouvert une vingtaine de boutiques, et dans certaines villes, c’est la deuxième fois qu’il s’installe, avec l’envoi d’une newsletter dans la zone de chalandise. Le concept : faire un événement de chaque ouverture… et aussi de chaque fermeture. « Souvent nous invitons nos clients issus de la vente à distance ou d’internet, ou ceux qui ont visité une autre de nos boutiques, commente Corine Favre. Le but est de multiplier les points de contact avec eux. » En effet, le consommateur a une routine d’achat volatile, et il se révèle difficile à fidéliser. « Aujourd’hui, nous assistons à une multiplicité des parcours, les shoppers souhaitent une expérience personnalisée et omnicanale, note Maud Pallandre, responsable marketing de KitchenAid petit-électroménager. Nous observons également une croissance du m-commerce. Le magasin reste pourtant une étape importante. 80 % de nos clients sont des consommateurs qui ont besoin de voir le produit en point de vente, ainsi que sa large gamme d’accessoires. »

La boutique reste donc un canal majeur. C’est pourquoi KitchenAid propose au commerce un dispositif de marque avec des displays, de la PLV pour présenter les bénéfices-clés de son offre. L’expérience passe aussi par des corners avec un ambassadeur de marque. « Nous avons une force de vente terrain pour former les équipes, car le conseil du vendeur fait partie des attentes sur ce type de produit, et le rôle du point de vente est d’engager le shopper ». Le magasin, aujourd’hui, est moins un lieu d’achat, et davantage un lieu d’expérience, avec des ateliers culinaires, des démonstrations, etc. 

Selon Maud Pallandre, le magasin peut proposer une expérience plus concrète avec des informations complémentaires et tout ce qui relève du service après-vente : il est la continuité du digital. La mise en place d’animations fait partie du rôle d’animation des enseignes. « Un facteur clé de succès consiste à renforcer le drive-to-store, avec des animations relayées sur notre site internet », estime Maud Pallandre. Ainsi, lors des animations, la marque accompagne le client pour communiquer sur l’événement. 

En matière de drive-to-store, depuis quelques mois, Cookut offre au client la possibilité de commander sur son site et de récupérer la commande dans la boutique la plus proche qui a l’article en stock. De la toile à la boutique, il n’y a qu’un pas… et vice-versa.


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ODILE PAGEAU MISE SUR LE SERVICE CLIENT

Frédéric Loréal, directeur du magasin Odile Pageau (à Mauves, Loire-Atlantique), multiplie les services : point relais pour les colis Mondial Relay, le pressing, le recyclage des ampoules, et en tant que vendeur d’électroménager, il fait aussi office de point de collecte des appareils... « Nous sommes situés en zone rurale, à côté de Nantes. Avec les petits services que nous apportons, les consommateurs se déplacent plus facilement », observe Frédéric Loréal. Le pressing représente une dizaine de pièces par semaine. « Avec le point relais, nous sommes à 50 ou 60 colis hebdomadaires, et montons à 120 colis par jour à la période de Noël. Les gens se déplacent, cela leur permet de regarder l’offre du magasin, entraînant des achats d’impulsion. C’est aussi le but… » Le point de vente propose également la livraison et des démonstrations : « Nous avons présenté le robot culinaire et l’extracteur de jus Magimix, par exemple. Nous proposons ces démonstrations 2 ou 3 fois par an, cela nécessite une certaine organisation ! » Cette année, la plupart des personnes assistant à l’animation possédaient déjà l’appareil. «Cela étant, la semaine suivante, nous enregistrons parfois des ventes, c’est variable. » Frédéric Loréal mise aussi sur la modernisation du point de vente : « Nous avons rénové tout le magasin, modifié les vitrines, le sol, les murs, etc. Depuis octobre, nous avons une borne connectée, mise en place avec le réseau Cuisine plaisir, qui permet de montrer aux clients l’offre du site, en répondant à leurs questions. Il s’agit souvent de PEM, qui requiert une explication, un accompagnement. » .

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