Dossier

Saké : un potentiel organoleptique à découvrir et promouvoir

18 janvier 2018
Par : Sophie KOMAROFF

La dégustation du saké fait l’objet d’un engouement croissant. Pourtant, un important travail pédagogique reste à effectuer auprès du grand public et des professionnels. A la clé : une expérience consommateur enrichie et une preuve d’expertise de la part de l’établissement.

Proposer du saké à la carte de son établissement revêt une réellevaleur ajoutée, à condition qu’il ne s’agisse pas simplementd’une mention supplémentaire au chapitre des boissons alcoolisées. 

Sylvain Huet est saké samouraï.Il a été le premier Français à recevoirce titre honorifique, généralementdécerné à des Japonais célèbres pourvaloriser l’image de cette boissonnationale, dont la consommationest en baisse dans l’archipel nippon

Au saké correspond un art, ainsi qu’un réel potentiel enmatière de gastronomie. Victime de son image erronée de digestif,le saké est également bien différent du vin : il est moins acide et necontient pas de tanins. « Sa texture, l’équilibre en bouche, son champaromatique diffère totalement du vin, pour des accords mets/boisson porteursd’une expérience passionnante, à condition d’être réussis », souligneFranck Ramage, responsable du département vin de l’institut LeCordon bleu, qui propose une nouvelle formation dédiée au saké (voirencadré). « Mettre le saké en compétition avec le vin est voué à l’échec, enraison de l’écart de tarifs, de disponibilité, et de culture », prévient SylvainHuet, saké samouraï (titre honorifique décerné aux meilleurs experts). 

Consommé lors du repas, le saké ouvre un champ des possiblesdifférent. S’il est élaboré autour de la cuisine japonaise, il valorise égalementles produits de la mer, ainsi que certaines spécialités occidentaleset en souligne le goût. Parmi elles : le caviar, la plupart des fromages,les fruits et les légumes, les desserts, les viandes blanches, etc.« Il se révèle notamment intéressant de jouer sur la complémentarité avecdes accords complexes, avec des produits vinaigrés ou fumés, par exemple »,analyse Sylvain Huet. 


Connaître la « douce euphorie » 

La problématique du service consiste donc à raconter une histoireet initier les convives. Aux professionnels de salle de transmettre laspécificité de cette boisson, pour que les consommateurs se l’approprient.L’expérience revêt un enjeu fondamental dans l’acceptationdu tarif élevé. 

Et pour cause : la production est chère (le riz doit êtrepoli, de nombreuses tâches sont manuelles dans le processus), à laquelles’ajoutent, à l’export, les divers frais (transport, intermédiaires,etc.), les tarifs douaniers et la marge de l’établissement. Raison pourlaquelle le saké est généralement proposé dans les établissementshauts de gamme et/ou souvent au verre.Sylvain Huet décrit la dégustation du saké comme « une expérience dedécouverte qui fait rêver ». 

Le saké détient une richesse : une grandeliberté dans le service, qui s’inspirera avantageusement des traditionspour raconter sa propre histoire. Le rôle du personnel de salle estcependant essentiel pour ne pas aller dans la mauvaise direction. « Lesaké n’est pas qu’une boisson, insiste Sylvain Huet. Au Japon, la coutumeconsiste à ne jamais se servir soi-même : il s’agit de servir les autres,puis de reposer le carafon pour être à son tour servi, 3 à 4 cl à chaque fois,pas davantage. Il y a un aspect rituel, mais aussi olfactif, car les arômesse répandent. » 

Le temps passé à servir le saké est donc un tempsd’échange, même sans mettre en pratique la pure tradition asiatique.« Il convient de se rappeler de la notion de Yin et de Yang : recourir à lamanière occidentale n’empêche pas de puiser dans la façon de faire asiatique.» Car le saké ne se résume pas qu’à sa subtilité organoleptique :il incarne aussi le côté convivial, un art du service, une histoire…« Le saké se boit à petite gorgée, et amène à une douce euphorie qui amèneà une forme de rêverie. »

Verre, céramique, laque, métal ou bois 

En matière de contenant, il n’existe pas de règle définie, d’autantque, selon le type de saké, le breuvage est servi entre 5° C et 40 °C.

Les sakés aromatiques sont de préférence bus frais, ceux qui ontdavantage de corps à température ambiante, et nombreux sont ceuxsusceptibles d’être consommés tièdes. Soit un éventail qui laisse librecours à une proposition inédite en matière de service. Le saké est généralement présenté dans une carafe de 18 cl, le format professionneldes bouteilles étant de 1,8 l. Il peut s’agir des katakuchi (verseuse enforme de bol) ou tokkuri (carafon en céramique, parfois en verre ouen bambou, servant notamment à tiédir le saké au bain-marie) parexemple, ou encore de carafe comprenant un compartiment à glaceisolé pour rafraîchir le saké. 

La plupart des établissements opte pour le verre à vin. « Ce n’est pasune hérésie, commente Sylvain Huet. La chambre aromatique du verrepeut avantageusement amener les qualités organoleptiques du saké à sedéployer.» Autre avantage, l’utilisation d’un verre à vin contre l’imagede digestif du saké. Une médaille qui a cependant un revers : cela nedifférencie pas suffisamment le saké du vin. Autre limite : le verrene convient pas lorsque le saké est servi tiède. « Ce n’est ni agréableni approprié. En outre, cela refroidit trop vite, ce qui n’est pas sans conséquence gustative, le saké étant sensible aux variations de température. »Le verre convient donc pour le saké servi entre 10 et 12 °C ou àtempérature ambiante. 

Une autre option consiste à servir dans des contenants en céramiquejaponaise, une des plus anciennes formes d’art de l’archipel nippon,et par là-même embarquer ses convives pour deux millénaires d’Histoire.Ou encore choisir de recourir au masu, un gobelet carré debois de préférence laqué, qui sert de mesure de riz depuis le Japonféodal. Les contenants métalliques ou en étain offrent égalementdes perspectives intéressantes, notamment visuelles s’ils présententune dorure intérieure.En résumé, la variété des pratiques permises par les différents contenants(matière, forme, texture, épaisseur) fait que le produit arrivedifféremment en bouche. C’est donc une réflexion propre à chaqueétablissement qui est à engager. 

La question essentielle consistantà s’interroger pourquoi opter pour telle ou telle manière de servir.Autrement dit, peu importe le contenant, pourvu qu’il soit en cohérence avec l’expérience que l’on souhaite faire vivre à ses convives.  

Distinguer le vrai du faux

Réputé alcool fort à tort, le saké est une boisson alcoolique issue d’un processus complexede fermentations multiples parallèles (la “sakéification”, qui met en jeu des phasessimultanées de saccharification de l’amidon et de fermentation alcoolique dans une mêmecuve). Il n’est donc ni distillé ni brassé. 

Les deux ingrédients qui le composent sont le riz(variétés dites sakéifères, spécialement développées à cette fin, donc différentes de cellesde table) et l’eau (avec une notion de terroir de l’eau). Son titrage alcoolique est généralement compris entre 14 et 16°. « Tout le monde pense avoir bu en raison de l’alcool offert en fin de repas dans certainsrestaurants asiatiques », déplore Sylvain Huet. Autrement dit, la nature elle-mêmedu produit est méconnue.Pour permettre de distinguer le vrai saké du faux et promouvoir cet art dans le secteurde l’hôtellerie, l’institut Le Cordon bleu met par exemple en place une formation (lapremière session interviendra le 29 janvier prochain à Paris). Au programme : histoire dusaké ; techniques de dégustation ; les sakagura (« maisons de saké ») ; les types de sakéet leurs régions ; le service, les étiquettes ; les accords mets et saké et la cuisine au saké. 

La formation est sanctionnée par un examen en vue de la délivrance d’un certificat.Cette formation sera prochainement proposée dans l’antenne de Shanghai du Cordon bleu. 


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