Dossier
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Cuisson : l'inox, une tendance de fond qui s'affirme
Si la poêle antiadhésive a longtemps représenté la grande majorité des ventes, depuis quelques années, l’acier inoxydable gagne du terrain en France et tend à inverser la tendance. Il faut dire que ce matériau présente bien des atouts.
Depuis quelques années, les fabricants observent une baisse continue de la part des ustensiles de cuisson revêtus. « Il y a 5 ans, nous vendions 60 % d’inox pour 40 % de revêtu, aujourd’hui, c’est 70 % inox pour 30 % de revêtu, compare ainsi Philippe Gelb, directeur général de Beka France. » Plus symbolique encore : « Il y a 10 ans, la part de revêtement était supérieure à celle de l’inox, respectivement à 60 % et 40 %. Désormais, ces proportions sont inversées ! » Damien Dodane, directeur général délégué de Cristel, souligne en outre que « si la consommation mondiale en poêles est à plus de 95 % antiadhésives, Cristel vend pour sa part à 50 % de l’inox sans revêtement et 50 % de poêles revêtues, et ce chiffre a tendance à baisser ». Pierre-Henri Le Calvé, category manager pôle cuisson de Sitram, observe : « Depuis 2020, les ventes d’ustensiles en acier inoxydable de la marque Sitram ont gagné 4 points de part de marché sur l’intégralité des produits : nous sommes passés de 31 à 35 % en produits inox. »

Selon lui, ce mouvement est encore à son début,
mais il pointe que la question du développement des gammes
tout inox se pose dans les grandes enseignes,
ce qui signifie que dans 6 mois à un an, il y en
aura davantage dans les rayons. Pour l’heure, le
gros de ce marché concerne, certes, des produits revêtus, qui ne nécessitent pas une surveillance constante. « 70% de la proposition des
grandes enseignes sont encore des ustensiles
revêtus, note Pierre-Henri Le Calvé. Mais nous
nous dirigeons vers une démocratisation des produits plus professionnels. »
MÉFIANCE SUR L’ANTIADHÉRENT

« La méfiance du consommateur envers tout ce qui concerne le PTFE l’incite à choisir des produits non revêtus », analyse pour sa part Philippe Gelb. La potentielle nocivité des substances per- et polyfluoroalkylées (PFAS) est en effet de plus en plus souvent abordée. Parmi ces 4 500 substances, le polytétrafluoroéthylène (PTFE, un polymère) est celle qui procure le caractère antiadhérent des ustensiles revêtus. Pour rappel, dans le cadre du pacte vert pour l’Europe, des travaux d’évaluation et de surveillance sont menés en vue d’une suppression progressive de l’utilisation des PFAS dans l’Union à l’horizon 2030.
En France, une proposition de loi visant à protéger la population des risques liés aux substances per- et polyfluoroalkylées (n°2229), est par ailleurs à l’étude à l’heure où nous rédigeons ces lignes. Car si sur l’inox, il suffit d’éliminer le revêtement, l’aluminium est impossible à utiliser non revêtu en raison du risque de relargage de particules dans les aliments. Le PTFE est donc remplacé par la céramique, un revêtement à base de sable et d’eau.
LA RECHERCHE DE SOLUTIONS ALTERNATIVES AU PTFE
« Nous avons été connus pour le lancement d’une gamme Stoneline avec un revêtement à base de poudre de pierre, rappelle Sébastien Zimmermann, directeur commercial France de Kela. La gamme s’est extrêmement bien vendue, car à l’époque, les consommateurs entendaient déjà parler de ces histoires de nocivité des revêtements ».
« Extrêmement durables, les ustensiles en
inox se gardent à vie, en particulier s’il s’agit
d’acier 18/10 (18 % chrome, 10 % nickel). »
Sébastien Zimmermann, directeur commercial France, Kela.

L’idée était déjà de vendre un produit avec la même efficacité qu’un revêtement classique, mais plus écologique. Le revêtement céramique a connu un gros boom il y a une dizaine d’années, mais cet engouement était vite redescendu, car il avait provoqué des déceptions sur la durabilité. Il faut dire qu’à l’époque, l’information manquait sur son usage. « Entretemps, les fabricants ont largement progressé sur le revêtement céramique, avec une meilleure durée de vie, souligne Pierre-Henri Le Calvé. Dans notre catalogue Sitram cette année, nous faisons le choix de présenter tous nos produits en revêtement céramique.
Clairement, à l’instar des autres fabricants de poêles, nous proposons d’ores et déjà ces revêtements, car nos études consommateurs révèlent que l’absence de revêtement suscite une crainte, note Pierre-Henri Le Calvé. De plus en plus de consommateurs s’interrogent. Il y aura toujours une partie d’entre eux qui restera sur la simplicité, mais elle tend à se réduire. »
UN PRODUIT ADAPTÉ À LA FAÇON DE CUISINER (ET VICE VERSA)
« Dès le lendemain de la diffusion du film Dark Waters*, des consommateurs sont venus remplacer toutes leurs poêles et m’ont dit qu’ils
allaient jeter celles antiadhérentes, relate Valérie Bignon, dirigeante du
magasin Casseroles & co en Haute-Savoie, qui pointe l’existence de
nombreux amalgames : Quand je vois que des clients sont bloqués
là-dessus, je leur recommande donc directement de l’inox. Il s’agit
toujours de vendre le bon produit au bon client. Cela requiert beaucoup
de psychologie. Je vends effectivement énormément de poêles en Inox,
c’est une grande tendance. Montrer comment les utiliser permet de
faire lever les préjugés de ceux qui pensent que les aliments brûlent
dedans. » Les visites des usines De Buyer et Cristel ont notamment
permis à Valérie Bignon de voir comment les produits sont fabriqués,
et de les essayer : « Tester les produits rend avide de mieux les vendre,
d’interroger les clients sur leur façon de cuisiner pour leur proposer
le produit le plus adapté. » La céramique peut être une alternative au
PTFE, à condition que le client soit patient : celui qui veut une chauffe
forte immédiatement risque de dégrader le produit. « Je conseille l’inox
pour les viandes et les cuissons à feu vif, et parallèlement un ustensile
antiadhésif pour les poissons, les œufs ou les aliments plus fragiles »,
confie Valérie Bignon. Ses dernières adaptations de gamme ? « Je rentre
la marque Woll, fabriquée en Allemagne et sans PTFE. Je double ma
surface en ustensiles Cristel, en prenant plusieurs gammes. J’ajoute
une série plus cossue avec plusieurs couches. »
UNE NÉCESSAIRE FORMATION

Si le consommateur tend à douter de la qualité de l’antiadhérent et de son innocuité sur l’environnement et la santé, selon Damien Dodane, ce déclin a commencé avant même ces bruits. L’inox est le cheval de bataille de Cristel. « Nous l’avons toujours mis en avant, cela fait partie de notre ADN marketing. Plus de 80 % des plats peuvent être cuisinés dans l’inox, y compris sans matière grasse. Nous mettons également en avant notre garantie à vie inox ». Cristel communique énormément, par des formations aux revendeurs ou via les vidéos. La marque organise également plus de 200 démonstrations chaque année.
« Apprendre comment utiliser l’inox est un vrai sujet, car cela nécessite plus de compétences, concernant les montées en température et l’entretien, considère Illéane Ferreira de Freitas, chef de produit premium du Groupe Seb (Lagostina). C’est un travail de pédagogie. Nous utilisons la PLV, beaucoup de vidéos, YouTube et Instagram. Nous travaillons également en collaboration avec le chef étoilé Simone Zanoni sur de la création de contenu, entre autres, afin d’expliquer au consommateur la bonne utilisation des ustensiles en inox. »

Pour une marque qui a vocation à proposer des produits premium, l’intérêt pour des articles plus professionnels est une bonne nouvelle. « Pour une marque premium, cette progression de l’inox est une vraie opportunité, confirme Sophie Hesse, directrice marketing de De Buyer. Les consommateurs vont délaisser l’inox premier prix au profit du plus haut de gamme. C’est là que les marques interviennent : nous avons un rôle pédagogique à jouer auprès de nos revendeurs. » En effet, il faut être capable, par exemple, d’expliquer les différences de conductibilité.
C’est ainsi le travail des marques que d’apporter du matériel et des
informations dans les points de vente, afin de renforcer le discours d’expert des revendeurs : « Nous avons été amenés à créer beaucoup de
PLV pour expliquer les innovations sur nos collections, souligne Sophie
Hesse. Sur les trois dernières années, De Buyer a lancé deux collections
inox qui ont connu un grand succès, avec un matériel pédagogique. »
DES BATTERIES PLUS LARGES
Cet intérêt pour un produit durable pourrait inquiéter celui qui pense en
termes de renouvellement. En réalité, ce phénomène induit deux aspects
positifs pour l’activité. D’une part « les consommateurs se sont découvert des envies de cuisiner et s’orientent, pour réaliser des recettes
plus complexes, vers du matériel plus pointu. Aussi, ils s’équipent de
batteries plus larges, plutôt que l’unique poêle de 24 cm pour toute la
famille », observe Pierre-Henri Le Calvé.
D’autre part, la montée de l’inox ne sonne pas le glas de l’antiadhérent.
« Nous conseillons l’antiadhérent sur des chairs à poisson ou pour des
œufs, confie Damien Dodane (Cristel). Nous vendons l’antiadhérent
uniquement comme un complément. »
Sébastien Zimmermann (Kela) note que dès les années 2000, la société commençait à promouvoir l’inox. « Nous avons deux gammes en
inox pour répondre à cette demande, mais nous continuons à disposer
d’une profondeur de gamme, avec l’aluminium revêtement céramique,
la fonte-émaillée ou brute, le fer et l’inox. »







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« Pendant le confinement, les consommateurs ont appris à se servir des ustensiles non revêtus qui requièrent quelques compétences. »
Philippe Gelb, directeur général, Beka France.DES PRODUITS COMPLÉMENTAIRES

« Nous préconisons une poêle avec revêtement et une autre sans revêtement, car l’œuf et le bœuf se cuisinent différemment », souligne
Sébastien Zimmermann (Kela). La question est toujours celle de l’éducation du consommateur à l’usage du produit. » L’inox peut être recyclé
à l’infini, a la durée de vie la plus importante. L’acier inoxydable ne
provoque pas de migration de particules. Si l’antiadhésif, même décrié,
reste majoritaire dans le monde, les revêtements en PTFE connaissent
une baisse importante, à la faveur du tout inox ou du fer et de nouvelles
alternatives sont recherchées, au-delà de la céramique. Le succès de
l’inox semble parti pour durer, accompagné d’une pédagogie : « Nous
communiquons de façon importante auprès des magasins, avec davantage de vidéos d’explications. Surtout, décrypte Philippe Gelb, pendant
le confinement, les consommateurs ont pris le temps de s’y intéresser !
La part du revêtement perd déjà 5 % tous les 5 ans. Plus nous avancerons, plus elle sera réduite. C’est une tendance pérenne. »