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Dossier
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Savoir-faire : les lettres de noblesse retrouvées
Depuis quelque temps, la notion d’artisanat semble devenir de plus en plus importante pour les consommateurs. Toutes les entreprises françaises de renom le concèdent : leurs produits sont prisés et dans le secteur de l’art de la table, le marché est en hausse. Acte de résistance contre la consommation de masse, recherche de supplément d’âme… les raisons sont plurielles. Décryptage.
En 2023, la manufacture Revol basée à Saint-Uze dans la Drôme des collines fêtera ses 255 ans et l’activité de cette entreprise familiale spécialisée dans la production de porcelaine culinaire ne semble pas prête de s’arrêter. « Revol a indéniablement ressenti un regain d’intérêt pour les produits issus de savoir-faire artisanaux. Outre l’acte d’achat militant pour des produits dont les modes de production sont souvent plus durables et équitables que ceux des produits dits mass market, ce sont surtout les difficultés d’approvisionnement rencontrées par bon nombre de personnes ces derniers temps qui favorise un recentrage local. 65 à 70 % de notre production se destinent aux restaurateurs.
Ils sont de plus en plus soucieux de travailler avec des entreprises fiables et réactives qui répondent rapidement à leurs besoins en matière de fourniture en art de la table, explique Paul-Ambroise
Saunier, directeur marketing et communication chez Revol Porcelaine
avant de poursuivre : « La porcelaine, le haut de gamme des céramiques, c’est le matériau de prédilection dans la restauration. Il remplit
les conditions techniques nécessaires à la cuisine au quotidien. Dans
les produits Revol on retrouve la finesse de la porcelaine et le design du
produit artisanal. C’est un bon compromis pour le chef. Cela lui apporte
une garantie en termes de durabilité. »
L’ARTISANAT REPREND DES COULEURS ET ROMPT AVEC L’ÉPHÉMÈRE
Pour Paul-Ambroise Saunier, durabilité rime aussi avec intemporalité : « Revol ne propose pas de collections capsules et trois années sont généralement nécessaires au développement d’une collection. Nous prenons le temps de bien faire, qu’il s’agisse du design, des finitions, des émaux, de l’effet de matière. Nous essayons d’être de bons goûts sans être au goût du jour et de proposer un esthétisme qui n’est pas dans la surenchère. » Soucieuse de ne pas porter atteinte à son savoir-faire, la manufacture Revol n’a pas de velléité d’expansion à tout prix. Mais concède que lorsqu’une pièce devient aussi emblématique que son gobelet froissé, il faut entretenir son développement. C’est dans cette logique que 21 ans après le lancement de ce produit, Revol est allé chercher l’expertise de la maison d’édition de peinture Ressource pour parer sa pièce iconique de six nouvelles teintes. « Ce gobelet a déjà énormément de force de par son design, Revol raconte désormais une nouvelle histoire qui se poursuit au travers du savoir-faire coloriel de Ressource », explique Paul-Ambroise Saunier.
Une vision partagée par Aurélie Richard, directrice artistique au sein de la Faïencerie de Charolles : « C’est intéressant de comprendre comment certains produits deviennent incontournables. Ceux issus des savoir-faire et de l’artisanat ont un côté valeur sûre. Mais faire vivre le savoir-faire passe tout de même par la création de nouveautés. En tant que directrice artistique, j’ai pour mission de faire vivre le socle de ce savoir-faire en l’augmentant. À la Faïencerie de Charolles, nous actualisons notre gamme, dont le socle est composé de pièces historiques de manière annuelle. Cette actualisation passe par l’introduction et l’association de nouveaux coloris de notre nuancier exclusif d’une part. D’autre part en tant que créateur fabricant notre studio interne dessine de nouveaux modèles et nous confions certaines créations à des designers extérieurs afin de croiser les regards et signatures. Cela passe aussi par des collaborations, comme un projet avec la verrerie La Rochère sur lequel nous travaillons actuellement. Comme eux, nous sommes une manufacture issue des métiers du feu, cela peut être intéressant de créer une rencontre entre nos savoir-faire, de proposer un dialogue entre nos matières.
N’étant pas sur les mêmes marchés, ces rencontres nous permettent de nous challenger, découvrir des méthodes… » Tiphaine Chouillet, fondatrice du studio d’innovation La Racine, une agence de design global au service des artisans et de leurs savoir-faire, valide cette démarche : « Tout le challenge des manufactures, des détenteurs de savoir-faire, réside dans leur capacité à créer des objets intemporels mais dans l’air du temps. C’est un rythme plus long. Le produit doit a minima durer 10 ans et donner le sentiment qu’il en durera 20. Le client, qu’il s’agisse d’un particulier ou d’un restaurateur, sait qu’en plus d’offrir une qualité supérieure, ce type de produit ne se démodera pas. Il est donc plus enclin à mettre le prix. »
Plus qu’une simple caractéristique, l’intemporalité serait pour Sébastien Cich, directeur général de J.L Coquet et Jaune de Chrome, la définition même de l’artisanat : « Que l’objet soit en mesure de traverser le temps sans perdre de son attrait, c’est là tout l’intérêt du temps passé à le concevoir. » Christian Valat, directeur de la coutellerie française Laguiole en Aubrac est très optimiste quand il analyse ce retour aux produits artisanaux : « Ce n’est pas une simple tendance, quelque chose de passage.
C’est le reflet d’un changement lent mais profond de toute une société
de consommation. Les gens se rendent compte que consommer pour
consommer n’a pas de sens, ils ne veulent plus remplir les poubelles.
Notre savoir-faire, le haut degré de finition, les matériaux employés sont
gages de qualité. Ils préfèrent dépenser davantage dans un produit
pour le garder plus longtemps et peut-être même le transmettre. » Une
analyse partagée par un second coutelier, Félix Poché, président directeur général de l’Atelier Perceval, basé dans le bassin thiernois : « Le
consommateur a compris que la mondialisation n’était pas foncièrement
bonne et qu’il était nécessaire de revenir à l’essentiel. L’artisanat connote
nécessairement ce côté sobre et le consommateur sait d’emblée que
ce n’est pas de la grosse cavalerie avec de l’import à tout va. Il a aussi
et surtout pris conscience que la France avait la chance d’avoir sur son
territoire des artisans dont le savoir-faire étaient enviés de tous et qu’ils
avaient l’impérieuse nécessité de les soutenir d’autant qu’ils en avaient
pour leur argent. »
UNICITÉ ET STORYTELLING
Outre une certaine forme de militantisme, dans l’acte d’achat de produits issus de savoir-faire artisanaux réside aussi une recherche de supplément d’âme. Et pour cause, à l’inverse des pièces d’art de la table produits en masse dans des usines automatisés, les produits issus des savoir-faire artisanaux sont pour tout ou partie façonnés par la main de l’homme. Ils se distinguent par leur unicité mais aussi par l’histoire et la tradition qui les entourent.
Elodie Mongellaz, responsable marketing et
communication d’Ercuis en témoigne : « Savoir que l’orfèvre a équipé
les paquebots Normandie ou France, ça fait évidemment la différence. »
À cela s’ajoute le fait que, fabriquée en petite quantité, chaque pièce est considérée comme précieuse et spéciale créant ainsi un lien émotionnel entre le client et le produit. « Outre remplir une fonction ou un usage, ces objets racontent une histoire. Les particuliers et les restaurants sont déjà très équipés, ils cherchent à se différencier à travers des objets plus identitaires, plus authentiques et cela passe par la main de l’Homme », développe Tiphaine Chouillet avant de poursuivre : « Les consommateurs se dirigent vers une production plus maîtrisée, humanisée, loin des robots et des machines. »
Christian Valat rejoint son propos : « Chaque
couteau Laguiole est fait de A à Z par un coutelier. Si Laguiole a fait le
choix de ne pas progressivement mécaniser sa production c’est parce
qu’il est convaincu que ses clients recherchent avant tout une histoire. »
L’Atelier Perceval ne taylorise pas non plus sa production et revendique
l’unicité des 30 000 pièces qu’il produit chaque année. « Lorsqu’un client
achète un couteau pliant Le Français, il sait qu’il achète un objet unique
et durable, fruit du travail d’un artisan coutelier de haut-rang. C’est une
expérience exceptionnelle », revendique Félix Poché.
Certains industriels n’hésitent pas à jouer les codes de l’artisanat et séduisent des clients soucieux de décorer leur table avec des éléments inspirés de tendances artisanales en termes de look, de design, d’effets, tout en restant très abordables.
C’est notamment le cas du groupe Arc, comme en témoigne Gwenaëlle L’Hénoret, directrice marketing Europe d’Arc international : « Grâce à nos équipes R&D, nous mettons en place des procédés de fabrication inédits. La collection Diwali marbré en est un bon exemple. L’introduction de billes de couleurs au moment de la fusion de la matière crée des traînées aléatoires et donne le sentiment que chacune des assiettes de la collection est unique. Dans d’autres collections, certains modèles laissent à penser qu’ils ont été travaillés par la main de l’homme avec un côté bosselé. Les céramistes font des choses extraordinaires, mais avec les limites des procédés industriels, on peut arriver à obtenir ce côté imparfait qu’on retrouve dans l’artisanat sans pour autant lui nuire parce que nos clients et nos circuits de diffusion sont souvent différents. » Et pour cause, la qualité des matières employées, le temps et les compétences nécessaires pour les fabriquer ont un coût.
Pour le justifier, ils peuvent compter sur des détaillants engagés comme l’explique Marc Bureau, directeur général adjoint de la Faïencerie de Gien : « Le plus important pour un détaillant, c’est son positionnement. En proposant nos produits, il peut revendiquer le fait d’avoir dans son magasin des marques leaders sur le marché de l’art de la table dont les modes de fabrication artisanaux sont connus et reconnus pour leur excellence et leur écoconception. » Tous s’accordent à dire que ces produits seraient plus faciles à vendre. « Quand on transmet l’histoire de produits manufacturés, issus de l’artisanat ou simplement français, on a immédiatement beaucoup plus d’anecdotes à raconter que si on vend un produit fabriqué au bout du monde. Le vendeur s’adresse à la part émotionnelle du client et non pas à sa part rationnelle qui va juste regarder le prix », assure Tiphaine Chouillet. Et l’argumentaire vente ne serait pas le seul avantage, Christian Valat constate que l’intemporalité des produits artisanaux assure au détaillant d’écouler son stock : « C’est un investissement sans risque. Dans le pire des cas, son stock s’écoulera lentement, mais ce type de produit ne se démode pas. Les couteaux que je fabriquais il y a 20 ans peuvent, aujourd’hui encore, être exposés en boutique. Ils se vendront à coup sûr. »
L’ARTISANAT AU CŒUR DE LA PERSONNALISATION
Si après avoir été délaissés durant plusieurs décennies, l’artisanat et le savoir-faire redorent leurs lettres de noblesse ce n’est pas uniquement en raison des considérations écologiques et de la recherche de supplément d’âme des consommateurs.
C’est aussi parce qu’ils répondent
à une demande croissante de personnalisation, notamment dans le
secteur du luxe. En plus de rendre chaque pièce unique, la main de
l’Homme à cette faculté à les rendre spéciales. « La personnalisation est
le propre d’une entreprise artisanale. La Faïencerie de Gien offre à ses
clients la possibilité de personnaliser leurs produits depuis longtemps.
Nous faisons des services armoiries depuis plus de 100 ans. Toutes
les familles qui ont des armoiries ont leur propre service en Gien et
nous recevons régulièrement des demandes pour rééditer, refaire tout
ou partie de ces services. C’est une spécificité offerte par les acteurs
du luxe », témoigne Marc Bureau. Ercuis assiste à la même demande
croissante : « De plus en plus d’architectes d’intérieurs nous sollicitent
pour concevoir un service en accord avec les décorations qu’ils réalisent pour leurs clients. Dans ce cas, le studio interne formule des
propositions totalement sur-mesure avec des manches uniques, des
initiales ou un symbole particulier gravés », atteste Elodie Mongellaz.
Pour Nicolas Bigot, directeur des arts de la table chez La Rochère,
GOYON-CHAZEAU : L’ART DE LA FORGE DEPUIS 3 GÉNÉRATIONS
Chez Goyon-Chazeau, 90 % des couteaux de table et de cuisine sont des produits 100 % forgés issus d’un barreau d’acier, donc fabriqués en une seule pièce. Ce barreau est chauffé à plus de 1 200°C puis frappé sous un marteau pilon pour donner la forme du futur couteau. Le choc thermique avec “la trempe” réalisée ensuite procure un acier d’excellente facture offrant une coupe performante et durable dans le temps. Selon les finitions proposées, jusqu’à 100 étapes manuelles sont nécessaires pour obtenir un couteau forgé ; chaque pièce façonnée par la main de l’Homme revêt un côté unique.
Ces couteaux représentent un investissement pour le consommateur, mais sont généralement des
“couteaux de famille” qui seront transmis aux générations
futures. Ils sont porteurs d’un savoir-faire reconnu par le label
EPV et transmis depuis 3 générations dans la famille Goyon.
La création d’un couteau forgé est toujours un important investissement pour la manufacture qui nécessite de faire créer
l’outillage du modèle et forger au minimum par
2 000 pièces à chaque lancement. Avec une capacité de
production de 40 000 articles à l’année, Goyon-Chazeau
n’investit pas dans un nouveau modèle forgé tous les ans
mais surfe sur les matériaux pour répondre aux besoins du
marché. Le Styl’ver, modèle créé par le fabricant dans les années 1995, séduit toujours le
consommateur en recherche
d’authenticité, notamment
avec la version Brut de forge
développée récemment pour
laisser exprimer la matière
brute de la forge avec le
contraste d’une demi-soie polie miroir qui reflète le travail
de l’artisan. Le Styl’ver Brut
de forge Factory s’adresse
au client en recherche de
design épuré tandis que la
déclinaison Origines et son
manche en bois, en corne
ou en phacochère (photo)
répond aux amateurs de
belles tables.
Enfin à l’occasion du premier
mondial du damas au salon
Coutellia 2022, GoyonChazeau a mis au point un
coffret de 6 couteaux de
Thiers Pirou Prestige full damas en mammouth assorti :
un défi de fabrication artisanale avec une pleine soie
entièrement en damas, la mouche en forme du château
du Pirou (plus ancienne bâtisse de Thiers incarnant les
6 siècles d’histoire coutelière) en damas, ainsi que les mitres
rapportées. Pour les manches, Goyon-Chazeau a sélectionné
un matériau noble, le mammouth : pulpe, os, ivoire, molaire
découpée à l’horizontale et à la verticale (plus rare) et
croute bleue.
le sur-mesure en BtoB serait même un axe de développement pour la verrerie historique : « La Rochère reçoit de plus en plus de demandes de sur-mesure. Ces demandes viennent de designer, d’acteurs du luxe ou de marques qui souhaitent cobrander pour une collection.
C’est le
gros avantage de l’artisanat. La restauration et l’hôtellerie sont aussi
très friands de ce type d’offre pour se différencier, améliorer les expériences consommateurs, faire des choses uniques. La taille de notre
verrerie nous permet de pouvoir répondre à ces demandes. » Ce n’est
toujours pas le cas. « Nous pouvons nous permettre de répondre aux
demandes de personnalisation lorsqu’il y a des enjeux de volume. Mais
nous ne pouvons pas, compte tenu du manque de main d’œuvre, nous
permettre de le faire pour des petites séries », déplore Sébastien Cich
(J.L Coquet et Jaune de Chrome). Dans l’art de la table, bon nombre
d’acteurs pointent du doigt le manque d’école pour former et améliorer
l’attractivité de ces entreprises qui contribuent au dynamisme territorial et au rayonnement international de la France. « Aujourd’hui, si j’ai
besoin d’un artisan coutelier supplémentaire, j’ai une inertie de deux
ans avant que son travail réponde aux standards de fabrication de nos
couteaux. Le système de l’intérim ne fonctionne pas pour ce type de
savoir-faire, ce qui limite fortement nos capacités de production. Si j’ai
un afflux de commandes important, je ne peux pas y répondre. Il faut
du temps et de l’apprentissage pour répondre au degré d’exigence de
notre cahier des charges. Vous connaissez l’adage, c’est en forgeant
qu’on devient forgeron », note Félix Poché, président directeur général
d’Atelier Perceval.