Sur un marché mondial en évolution qui offre de belles opportunités de développement, la coutellerie
Dossier
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Couteau : l'ustensile qui ne connait pas la crise
De cuisine ou de table, voici bien un produit dont les ventes ne cessent de progresser et dont le consommateur ne saurait se passer. Pour qui sait parler coutellerie, le marché a beaucoup à offrir. Petit b.a.-ba et conseils pour mieux comprendre ce marché porté par des artisans et des maisons renommées.
Alors que de nombreux secteurs plongent dans le rouge avec la
pandémie, la coutellerie, elle, se maintient et travaille même
en flux tendu depuis le premier confinement. « Nous continuons à fabriquer avec les mesures adaptées. Pour autant, nous avons
pris du retard sur notre production depuis cet été et sommes débordés en
prévision de Noël, explique Caroline Dubois, en charge de l’export
et directrice commercial de Laguiole en Aubrac. Nos clients vendent
extrêmement bien en ligne et grâce à notre site vitrine, nous enregistrons
aussi de bons chiffres. » Confinement oblige, beaucoup de Français
ont redécouvert le plaisir de cuisiner. « Il y a
une forte tendance à l’équipement qui profite à
l’ensemble de la filière, du cuisiniste à l’ustensile,
confie Françoise Detroyat, directrice marketing et communication chez Opinel. Pour
autant, le phénomène n’est pas nouveau, mais il
dure et est surtout porté par cette année si particulière où cuisiner est devenu l’une des occupations
principales. »
Et les derniers chiffres confortent cette tendance à l’équipement et booste le couteau de cuisine. Ainsi une nouvelle étude de 360 ResearchReports confirme : « Le marché mondial Couteau de cuisine est évalué à 1,6 milliard USD en 2020 et devrait atteindre 2,3 milliards USD d’ici la fin de 2026, avec un taux de croissance annuel moyen de 5,3% au cours de 2021-2026. »
Coutellerie française : une longue tradition
« Nous considérons que la coutellerie est un marché éternel. L’homme aura toujours besoin de couteaux, c’est un objet du quotidien, estime Moïse Déglon, dirigeant de la société familiale et quatrième génération de la célèbre marque qui fêtera ses 100 ans en 2021. Le marché est porteur, mais encore faut-il vendre de la qualité et savoir en parler. » Car si chaque pays possède ses pointures en matière de coutellerie, la France peut se targuer d’une longue tradition de l’artisanat portée par une gastronomie étoilée.
« C’est aux XV e et XVIe siècles qu’apparaissent de nombreux bassins couteliers et villes coutelières sur l’ensemble du territoire, rappelle la Fédération Française de la Coutellerie (FFC). À partir du XVII e siècle se développe l’usage des couverts de table dans tous les foyers et de couteaux spécifiques aux métiers de bouche. Le XIXe siècle permet à la coutellerie produite en France de rayonner dans le monde entier grâce à la diversité de ses articles, à l’importance de ses capacités de production et à la qualité de ses produits.»
Pour autant, les guerres du début du XXe siècle auront raison de la plupart des bassins couteliers.
Aujourd’hui, seuls ceux
de Nogent, de Thiers et de quelques villes coutelières subsistent.
« En France, la filière s’organise
aujourd’hui autour de 120 principaux fabricants de coutellerie,
précise Thierry Déglon, président de la FFC. Le marché
français est estimé à environ
602,5 millions d’euros TTC (prix
consommateurs). »
Un vocabulaire pointu
Au cœur du métier, la coutellerie se maîtrise avant tout par son lexique. Rigide, souple, étroite, large, lisse ou crantée… À chaque besoin correspond une lame particulière. Cette dernière peut être forgée à partir d’une barre d’acier brute ou avoir été découpée au laser ou à la presse dans une feuille d’acier. L’acier justement est au cœur du prix d’un couteau. Dureté déterminant le tranchant de la lame (dureté Rockwell HRC), résistance à la casse ou résilience déterminée par le taux de carbone et le traitement thermique, mais aussi caractère inoxydable…
Autant de paramètres et de pourcentages de compositions à maîtriser selon l’usage auquel sera destiné son couteau.
« Il est important d’expliquer chaque produit et de justifier son prix, explique Lionel Sol, co-gérant chez Rousselon Dumas Sabatier. Je dis toujours que pour un couteau, la qualité est quelque chose qui ne se voit pas. Un coutelier doit être honnête avec ses clients et mettre en avant les bonnes informations. Notre ADN est le couteau de cuisine pour lequel je prends en considération trois critères : la qualité de l’acier que nous inscrivons sur le couteau, le traitement thermique et les finitions. Bref, ce qui compte c’est la coupe !»
QUELQUES RÈGLES D’ENTRETIEN D’UN COUTEAU
Pour prolonger sa durée de vie, ne jamais mettre celui-ci au lave-vaisselle, surtout si le manche est en bois. Passer simplement la lame sous l’eau chaude, l’essuyer aussitôt et ranger directement le couteau. Ne jamais placer une lame à côté d’une casserole au risque de créer une oxydation. Enfin, penser à l’affutage (à définir selon l’intensivité de l’utilisation) qui permet de garder un tranchant parfait. De quoi garder son couteau plusieurs décennies !
Il faudra aussi observer la soie qui est le prolongement de la lame dans le manche. Celle-ci permet l’assemblage de ce dernier et de la lame. Il en existe de quatre sortes (de la plus fine et petite à la plus large occupant tout le manche du couteau lui garantissant sa robustesse) : les soies postiches, les demies-soies, les trois-quarts soies et les pleines soies.
Cependant, ce critère est aujourd’hui remis en question par le développement de techniques de surmoulage et les progrès des plastiques qui apportent des garanties de robustesse avec des soies courtes, visibles ou cachées. « Un couteau c’est avant tout la qualité d’un produit au global, résume Moïse Déglon. De même qu’il y a des débats aujourd’hui dans la profession pour se mettre d’accord sur ce qu’est une lame forgée, chaque marque aura ses propres critères, tout comme on peut discuter de la définition du label made in France. »
La
coutellerie se veut un métier très complet et complexe.
Made in France, toujours porteur ?
Avec sa gastronomie au rayonnement international et ses chefs médiatiques, la France possède toujours une belle aura et de grands artisans, mais qu’en est-il en rayon ? Les consommateurs sont-ils attentifs à une fabrication dans l’Hexagone ?
« La made in France jouit toujours d’une belle image, poursuit le dirigeant de la société Déglon. C’est particulièrement vrai sur le territoire ; à l’étranger aussi, même si là la concurrence est plus accrue. »
Même écho chez Nogent 3 étoiles, qui réalise 25 % de ses ventes à l’export : « En magasins, le comportement d’achat a changé, reconnaît Pascal Provost, directeur commercial de la marque. Il y a une prise de conscience de plus en plus forte avec l’envie de soutenir nos emplois, de cuisiner avec de bons ustensiles. »
Idem chez Laguiole en Aubrac qui réalise 70 % de son chiffre d’affaires à l’étranger : « Le Made in France est toujours un argument fort pour nous, confirme également Caroline Dubois. Le consommateur recherche davantage un produit de qualité et durable dans le temps, ce qui joue en notre faveur. Notre seul problème est la contrefaçon, mais nous travaillons sur une IG pour contrecarrer cela. »
De façon générale, l’export reste porteur pour nos couteliers : « La part fabriquée en France et vendue sur le marché français est de l’ordre de 38 %, rappelle la FFC. L’import – via les fabricants et les importateurs directs qu’ils soient grossistes ou chaînes de détaillants ou hypermarchés – représente donc 62 %. »
Au top 10 des pays exportateurs figurent
majoritairement des pays d’Europe, à l’exception des États-Unis qui
est le premier pays d’exportation (13 millions d’euros) et le Japon
en 10e
position (2,3 millions d’euros).
La percée du couteau japonais
Pour autant, sur ce marché très porteur, la concurrence n’a jamais été aussi rude. La tendance actuelle penche beaucoup du côté du Pays du soleil levant avec des noms tels que Tojiro, Kai, Chroma, Miyabi ou encore Global, pionnier sur le marché français depuis les années 1990.
Ce n’est que depuis les années 2000 que le phénomène s’est amplifié. Ainsi, en 2004, le groupe Zwilling s’est diversifié en rachetant une usine au Japon afin de lancer la marque Miyabi. Aussi tranchant que magnifique à regarder, un couteau Miyabi forgé à partir d’aciers de qualité supérieure nécessite plus de 100 étapes et 42 jours pour sa fabrication. « Les demandes explosent sur tous les marchés actuellement et même les marques comme la nôtre qui, au départ, s’adresse aux professionnels, sont désormais de plus en plus réclamées par les particuliers », analyse Nathalie Chabert, directrice marketing et communication du groupe Zwilling pour le marché français.
Quant à la marque Kai, implantée en Europe avec une filiale dédiée dès 1980, elle n’est vendue en France que depuis 2005. « D’un continent à l’autre nous n’avons pas les mêmes couteaux, explique Michel Hourvitz, directeur commercial de Kai France. Aussi pour pénétrer de nouveaux marchés, nous avons lancé la gamme Shun Classic (série de 31 formes) qui allie technique de forge et fabrication japonaise. Les lames sont damassées et utilisent différents aciers à forte teneur en carbone, autour de 0,8 % et jusqu’à 1 % (contre 0,4 % en moyenne pour un couteau européen, NDLR), ce qui est très important. Nous sommes sur un positionnement haut de gamme qui pour autant réalise une part importante de notre chiffre d’affaires. Le public recherche de plus en plus ce type de produit alliant esthétique et performance. »
Tandis que côté détaillants, beaucoup ont suivi le mouvement. « Je me suis spécialisé en couteaux japonais car j’ai reçu des demandes de cuisiniers étoilés en local et c’est devenu notre ADN, témoigne Fabien Bourly, gérant de La Coutellerie Champenoise à Reims. Je suis importateur de nombreuses marques et pour avoir visité plusieurs usines, je considère les couteaux japonais comme les meilleurs avec leur acier le plus souvent composite, à la fois dur pour le tranchant, tendre pour la souplesse de la lame, et aussi inoxydable. Le Japon est un des rares pays qui investit des millions de yens en recherches et développement pour la coutellerie. »
« Clairement le couteau japonais s’est démocratisé, note François de Bellissen, président de la boutique Habiague à Toulouse. Les gammes ont pris de l’ampleur et s’adressent aussi bien aux professionnels qu’à l’amateur éclairé. Je pense que cela a contribué à tirer la coutellerie vers le haut. »
L’affutage : retour sur le devant de la scène
Enfin, à l’heure de la durabilité, nombreuses sont les marques à remettre en avant l’entretien d’une lame.
Aiguiseurs, pierres, fusils : l’offre et les moyens efficaces pour redonner à la lame des couteaux de cuisine le tranchant initial de leur fil sont nombreux. « La demande se développe, confirme Caroline Dubois (Laguiole en Aubrac). Nous proposons l’affutage dans nos 10 boutiques en propre en France et vendons depuis peu un petit affuteur avec différents grains de la marque Horl. »
« Avec l’augmentation du panier moyen, le client va vers plus de qualité et fait désormais attention à mieux entretenir sa lame, explique Lionel Sol (Rousselon Dumas Sabatier). Mais il faut bien faire la différence entre affiler, ce que fait tous les jours le boucher, et aiguiser, lorsqu’il n’y a plus de fil et que la lame ne coupe plus. Nous proposons pour cela un panel de produits en boutiques mais il faut savoir le faire soimême. Tout l’enjeu réside dans l’art de former les boutiques pour expliquer cela. »
« Chez Zwilling, l’heure est au focus sur l’entretien et l’aiguisage du
couteau, conclut Nathalie Chabert. Après avoir sorti en 2019 un bloc
couteau avec aiguisage intégré automatique à chaque passage du couteau,
cette année nous avons mis l’accent sur l’aiguiseur V-Edge qui combine un
aiguisage européen et japonais. »
Fabien Bourly, gérant et détaillant, La Coutellerie champenoise à Reims (51) :
DO :
- expliquer les formes et longueurs de lames et prendre en compte la taille de la personne et son sexe pour trouver le couteau adéquat ;
- faire tester et essayer les couteaux ;
- visiter les confrères permet souvent de voir les incohérences.
DON’T:
- mettre les couteaux sous verre. J’ai préféré les disposer derrière un comptoir sur une barre aimantée pour que les modèles soient visibles et montrer toute notre offre ;
- mélanger les gammes de prix.
Pascal Provost, directeur commercial Nogent 3 étoiles:
DO :
- placer des petits bacs sur les tables pour les petits couteaux assure une bonne rotation ;
- valoriser l’affutage : le couteau est un produit fait pour durer dans le temps.
DON’T:
- mettre les couteaux sous vitrine : on constate deux fois moins de rotation de produits qui ont tendance à être oubliés.
Michel Hourvitz, directeur commercial Kai France:
DO :
- choisir de travailler avec des marques avec lesquelles on a le feeling permet de mieux les vendre ;
- bien cibler son positionnement (entrée ou haut de gamme) permet de mieux vendre.
DON’T:
- ne pas faire prendre en main un couteau. Plus on monte en gamme, plus il est nécessaire de tester et essayer le poids et l’ergonomie d’un article.
François de Bellissen, président de la boutique Habiague à Toulouse (31) :
DO :
- avoir une gamme structurée et large qui permet d’avoir du choix, sinon le client ira au final acheter sur le web.
DON’T:
- ne pas questionner le client. Il vient chez nous pour le conseil et parce que nous avons la connaissance du produit : à nous de le guider